En 1855, alors doyen de la faculté des sciences de Lille, Louis Pasteur est saisi par le père d'un étudiant, un industriel du sucre, des problèmes de plusieurs fabricants : leur alcool de betterave prend parfois un goût acide et des vapeurs nauséabondes sortent des cuves.
Le chimiste constate que la fermentation alcoolique est due à des organismes vivants, les ferments, et que, dans les fermentations défectueuses, apparaissent des petits bâtonnets produisant de l’acide lactique. Il met ensuite en lumière, dans son laboratoire parisien de l'École normale supérieure, que chaque fermentation résulte d'un micro-organisme spécifique.
Le chimiste découvre également une nouvelle classe d’êtres vivants, capables de vivre à l'abri de l’air. Il propose les termes "anaérobie" pour les ferments capables de vivre sans air et "aérobie" pour les micro-organismes ayant besoin d’oxygène libre. Microscopes ou ballons à col de cygne, le chercheur explore les fermentations avec des instruments de laboratoire.
Il enquête aussi sur le terrain, en achetant une petite vigne (le Clos des Rosières) à Arbois, ville jurassienne de son enfance, et en étudiant les pratiques de diverses localités vinicoles et les vins malades.
Le vin et ses aléas sont alors un souci jusqu'au sommet de l'État. Napoléon III s'intéresse à un problème ayant déjà préoccupé son oncle, Napoléon Ier.
Louis Pasteur montre notamment que chauffer le vin dénature les ferments problématiques et permet de le conserver intact en bouteille. Le vin est chauffé entre 55°C et 60°C, température à laquelle il ne s'altère pas et garde son bouquet. Une méthode à laquelle il a donné son nom, la pasteurisation.
"Ses travaux sur le vin sont pionniers, ils ouvrent les yeux sur la diversité des microbes, des processus qui les initient, sur l'importance de l'oxygène...", note Gabriel Lepousez, neurobiologiste du laboratoire de recherche Perception et mémoire à l’Institut Pasteur, qui aime se servir de la gastronomie et du vin pour vulgariser les sciences.
Fort de ces trouvailles, Louis Pasteur se plonge aussi, notamment à la demande d'un brasseur de Chamalières, dans les problèmes de bières, parfois altérées par des micro-organismes venant de poussières de l’air.
Il apprend aux brasseurs à préserver les moûts des souillures et à chauffer la bière à 55°C pour prévenir les maladies.
Ces travaux sur les fermentations et les micro-organismes ouvriront ensuite à Louis Pasteur une piste pour la compréhension des maladies infectieuses. Si la pasteurisation du vin finira par tourner court, "Pasteur va faire école" par ses travaux sur le vin, souligne Gabriel Lepousez.
Le neurobiologiste évoque l'un des disciples du chercheur, le chimiste Ulysse Gayon, fondateur de l'institut oenologique de Bordeaux, inventeur de la "bouillie bordelaise" - le sulfate de cuivre utilisé pour combattre le mildiou -, et ancêtre du créateur de la fameuse école oenologique de Bordeaux.
Autre filiation : "Dans les années 1950, on a découvert qu'après la fermentation alcoolique se passe une autre fermentation, par des bactéries, qui, bien contrôlée, va permettre à une bactérie lactique de faire apparaître d'autres arômes", raconte Gabriel Lepousez. "Tout le travail de l'oenologie moderne a été un travail à la Pasteur, en comprenant ce phénomène et en contrôlant ces fermentations".
(Avec AFP)