Qu'est-ce qui vous a donné l'envie d'écrire ce livre ? Que raconte Rock the Citadelle ?
Sam Guillerand : "Je suis arrivé à Besançon aux alentours de 1995/1996, pour entrer à la fac de lettres. J’ai découvert une ville culturellement et musicalement bouillonnante, très vivante, avec un passif chargé sur les scènes rock / punk / hardcore et plus largement sur toutes les cultures alternatives qui y sont rattachées. J’ai moi-même joué dans plusieurs groupes à partir de 1996, j’ai beaucoup tourné pendant une vingtaine d’années en France et dans le reste de l’Europe, je joue sur une trentaine de disques. Besançon a fortement impacté mon intérêt pour ces musiques en marge ainsi que sur la littérature, le cinéma d’un certain genre, et plus largement sur des modes d’expressions souterrains.
Cette ville d’à peine 120.000 habitants a longtemps eu la réputation et la proposition culturelle de villes beaucoup plus importantes, sans que les médias locaux ne s’en intéressent d’ailleurs particulièrement. Beaucoup de groupes nationaux et internationaux ont joué à Besançon depuis les années 1970, et il y a quantité d’excellents groupes bisontins – dans des scènes pointues et underground – qui se sont exportés et sortis des albums de qualité… c’est tout un pan de notre patrimoine culturel qui est malheureusement et bizarrement méconnu.
En plus d’être musicien, j’ai également organisé beaucoup de concerts ainsi que d’autres évènements (ciné-club, soirées littéraires, etc.) et j’ai fréquenté assidument pendant une vingtaine d’années tous les lieux de diffusions, les locaux de répétitions, les disquaires et tous les autres lieux qui ont joué un rôle dans cette scène musicale et culturelle fourmillante. De plus, j’avais déjà écrit (ou co-écrit pour certains d’entre eux) d’autres livres traitant d’esthétique rock/punk/metal underground. ll m’a donc semblé intéressant et nécessaire de me pencher sur cette histoire locale en convoquant dans les pages d’un livre les acteurs qui ont donné de leur énergie/temps/argent pour faire de cette ville ce qu’elle a longtemps été : un secret bien gardé certes, mais bien connu de tous les spécialistes.
Cette histoire, kaléidoscopique dans sa forme, s’articule autour d’un récit polyphonique, succession d’entretiens et de récits agrémentés d’une iconographie abondante, dont des documents inédits (photos, flyers, affiches, tickets de concerts, articles, etc.) issus des collections personnelles des nombreux acteurs de cette grande épopée. Et même si les 440 pages de ce livre n’ont pas pour vocation l’approche purement analytique, historienne, politique ou essayiste, il est un peu question de tout ça, en filigrane, pour qui voudra l’y déceler. L’enthousiasme n’est pas forcément nostalgie ; ces regards rétrospectifs sur ces différentes périodes disent sans aucun doute beaucoup de notre époque.
Je n’ai jamais voulu proposer un catalogue des groupes « rock » bisontins, ça ne m’a jamais intéressé. C’est toute l’histoire et le contexte culturel qui m’intéressent. Comprendre pourquoi, dans cette ville, de nombreux groupes nationaux et internationaux venaient y poser leurs amplis et pourquoi toutes les scènes très pointues et érudites (punk rock plus ou moins classique, hardcore, noise, indie, screamo, post hardcore, etc.) ont été à un moment représentées."
Comment avez-vous fait pour rencontrer tous les protagonistes qui ont permis à ce livre de voir le jour ?
Sam Guillerand : "La première étape d’un tel livre est la prise de contact. J’ai donc listé les acteurs/activistes de chaque décennie, depuis la fin des années 1970 à nos jours, et j’ai choisi ceux qui ont été présents sur plusieurs fronts. J’aime les profils « multi casquettes », « les couteaux suisses » comme je les appelle, ceux qui ne se contentent pas forcément de jouer dans un groupe et d’attendre qu’une structure s’occupe d’eux. J’ai ainsi validé et rencontré tous ceux qui, selon moi, ont vraiment eu un impact fort sur la vie culturelle de la ville.
Des musiciens donc, mais aussi, et surtout des organisateurs de concerts, des journalistes, des photographes, des illustrateurs, des éditeurs de fanzines, des auteurs, des disquaires, des propriétaires de studios d’enregistrement ; ceux qui, comme le veut l’expression, « ont fait bouger les choses ». Je les ai donc contactés en leur expliquant en détail la nature du livre sur lequel j’étais en train de travailler. J’ai interviewé plus d’une centaine de personnes, sous la forme de profils très détaillés et d’interviews au long cours."
Quelles ont été les différentes phases de réalisation du livre et pendant combien de temps avez-vous travaillé dessus ?
Sam Guillerand : "Après avoir contacté cette grosse centaine de personnes, il a fallu que je mène des entretiens avec eux, soit en les rencontrant, soit au téléphone, soit par email (et même par courrier postal !)… Rock the Citadelle est basé sur une histoire orale, mais également visuelle… je suis donc parti à la recherche de documents, d’articles, de flyers, de posters, de photos et de diverses archives de chacune des périodes traitées. J’ai travaillé un an et demi sur ce livre, quasiment à plein temps, tous les jours."
Le choix du titre : Rock the Citadelle était-ce une évidence ou est-ce que vous avez hésité avec d'autres idées ?
Sam Guillerand : "C’est une référence au titre « Rock the Casbah » des Clash, sorti au début des années 1980 ; un groupe que tous les pionniers de la scène locale – ceux qui ont squatté le Bastion à la fin des années 1970 et qui ont fondé les premiers groupes punk rock du cru – citent en influence majeure et absolue. Faire côtoyer dans le même titre la Citadelle (cette pièce massive d’architecture créée par Vauban, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, qui surplombe la ville et qui en est cœur de la vie touristique) et un clin d’œil à l’un des grands noms du mouvement punk était selon moi intéressant à plusieurs niveaux. Un choc des cultures. La rencontre du patrimoine historique et du patrimoine contre-culturel… la rencontre frontale, pourrait-on dire, de Vauban et de Proudhon !"
Y a-t-il des périodes plus riches musicalement que d’autres ?
Sam Guillerand : "Il ne s’agit pas seulement de musique… mais bel et bien d’une réelle et incroyable effervescence culturelle. Chaque période a connu une histoire passionnante, avec ses activistes, ses associations, ses lieux et son contexte particulier. Mais si on doit pointer une période plus dense, en matière de nombre de concerts en ville, mais aussi et surtout en matière de groupes bisontins actifs, de leurs réelles activités (concerts, tournées, etc.), des disques qu’ils ont produits, etc., c’est la période des années 1990 et du début des années 2000 qui apparaît comme la plus riche. Parce que c’était le bon moment, où tout était aligné, et que tout était en place, à tous les niveaux – et c’était également le cas dans le reste du pays et de la planète – pour que cela soit le cas."
En tant que musicien, quel regard portez-vous sur la scène musicale bisontine à travers ces différents portraits ?
Sam Guillerand : "Je ne regarde pas la scène musicale bisontine en tant que musicien seulement… je le répète, selon moi, c’est tout le contexte subculturel qui est important. Le sujet du livre c’est ça, et pas seulement la musique ou le « rock ». Force est de constater qu’à différentes périodes, l’activité « rock » (et des scènes affiliées) était réellement impressionnante, remarquable et remarquée dans cette ville. Aux gens qui me disaient, au début de mes recherches, quand j’avais pour projet ce livre « Mais, à Besançon, il y a des groupes et une scène rock ??? », je leur tendrai ce gros livre de deux kilos et de 450 pages et ils constateront par eux-mêmes… c’est le meilleur argument possible."
Quel est votre regard sur la scène musicale bisontine d’aujourd'hui ?
Sam Guillerand : "Je vis à Paris depuis trois ans… et juste avant d’emménager dans la capitale, pendant trois ou quatre ans, je faisais constamment des allers et retours entre Lyon et Besançon, cela fait donc quelques années déjà que je ne participe plus aux nuits bisontines et que je n’y suis plus actif… je ne suis donc pas le meilleur référent pour parler d’une scène que je ne côtoie plus et que je ne connais que de loin.
Mais, à l’instar des autres villes à l’échelle nationale (et même internationale), la culture rock bisontine est indubitablement en phase de vieillissement. Il y a un délitement certain de tout ce qui touche la « chose » rock. Pour diverses raisons, bonnes ou mauvaises, cette culture n’a pas été embrassée par les jeunes générations. Les groupes sur scène vieillissent, le public vieillit, les organisateurs vieillissent, il n’y a pas eu de relais et de sang neuf. Et le rock n’a plus véritablement de contexte culturel « global » malheureusement…
Internet a profondément modifié la façon dont la musique était jouée, produite, vendue et consommée, tout a changé… il reste des scènes alternatives, et quelques forces vives dans les milieux souterrains, quelques bons groupes également, mais comme toute culture vieillissante, l’agonie et la fin ne sont pas loin. C’est le l’ordre naturel des choses. Ce livre est à la fois une forme de bilan et de boîte à souvenirs. Attendons 40 ans pour voir ce qui pourra être écrit sur le sujet… et nous pourrons comparer."
Infos +
Le programme de la soirée de lancement de Rock the Citadelle à La Rodia
- Samedi 22 avril à partir de 17h30
- Table ronde avec présentation de Rock the Citadelle en compagnie de Sam Guillerand et de participants cités dans le livre
- Expo d’objets collectors, photos et affiches
- Concerts à 20h30 avec Dead Chic, Vyryl, Jo Macera au Club et DJ set du Bastion au bar
À cette occasion, le prix du livre sera exceptionnellement au prix de 30€ (au lieu de 39€)