Au lendemain de ce qui ressemblait à un baroud d'honneur dans la rue, la contestation contre la réforme des retraites se dirige vers son épilogue au Parlement : la présidente de l'Assemblée nationale a annoncé, mercredi 7 juin, qu'elle allait faire barrage à l'examen de la mesure d'abrogation des 64 ans, qui était programmé jeudi dans l'Hémicycle.
"Sur ces amendements de rétablissement de l'article 1 [qui prévoit de repasser à 62 ans], je suis très claire : ils seront déclarés irrecevables par moi-même dans la journée", a déclaré Yaël Braun-Pivet sur BFM TV.
"J'applique la règle, rien que la règle", a-t-elle ajouté, en allusion à l'article 40 de la Constitution. Celui-ci proscrit toute proposition parlementaire créant une charge pour les finances publiques, mais il n’est traditionnellement pas invoqué par la présidence de l’Assemblée nationale sur les propositions de loi, de manière à laisser prospérer l’initiative parlementaire.
Un examen de la proposition, mais pas de vote
Le reste de la proposition de loi, portée par le groupe Libertés Indépendants, Outre-mer et Territoires (Liot) et soutenue par la plupart des oppositions, pourra tout de même être examiné jeudi. Mais donc sans vote possible sur sa mesure-phare qui visait à abroger le recul de l'âge légal de départ de 62 à 64 ans.
Le texte Liot a entretenu la flamme des opposants à la réforme promulguée mi-avril, même si la participation mardi à la 14e journée de mobilisation a été la plus faible enregistrée en cinq mois de manifestations. L'annonce de la titulaire du "perchoir" n'est pas une surprise. Elle avait plusieurs fois qualifiée d'"inconstitutionnelle" l'abrogation des 64 ans.
"Ils ont peur de perdre"
Cette proposition avait été retoquée la semaine dernière en commission, au terme d'un vote serré (38 voix contre 34), mais les oppositions comptaient pouvoir rejouer ce match jeudi dans l'Hémicycle, en déposant des "amendements de rétablissement”. C'est à ces derniers que va faire obstacle Yaël Braun-Pivet, comme l'y autorise le règlement de l'institution.
Le texte du groupe Liot aurait un coût de "plus de 15 milliards d'euros au bas mot", a martelé ces derniers jours le camp présidentiel. Où de nombreuses voix ont reproché en coulisses à Yaël Braun-Pivet, issue du groupe macroniste Renaissance, de ne pas avoir invoqué plus tôt l'"irrecevabilité financière" pour siffler la fin de la partie.
Même adoptée par l'Assemblée nationale, l'abrogation des 64 ans n'aurait eu que de faibles chances d'aboutir au plan législatif, n'ont cessé de faire valoir les macronistes. Tout en s'inquiétant du signal politique d'un éventuel vote perdu.
Mais la Nupes a crié au scandale mercredi. "Ils ont peur de perdre donc ils veulent empêcher les députés de voter", a tweeté le coordinateur de La France insoumise Manuel Bompard.
"Il y a une chose qu'il ne faut pas faire dans la vie, c'est changer les règles du jeu au moment où vous êtes en train de perdre la partie", a ironisé la patronne des écologistes Marine Tondelier, anticipant sur France 2 la décision de Yaël Braun-Pivet.
”Une attaque inédite contre les droits du Parlement"
Le responsable socialiste Olivier Faure a, de son côté, sur Public Sénat annoncé quitter les discussions sur la réforme des institutions. "Je ne vais pas continuer à faire le guignol avec des gens qui me prennent pour un con".
Porteur de la proposition de loi, le groupe Liot a dénoncé "une attaque inédite contre les droits du Parlement", réalisée "sous la pression de l'exécutif". "Notre ambition reste la même, permettre un vote de l'Assemblée sur la réforme des retraites, seule condition pour apaiser le pays”.
Mais déjà résignés quant à l'impossibilité de voter sur la mesure d'abrogation jeudi, le groupe et la gauche ont échafaudé des plans de repli.
Ils ont déposé une série d'amendements alternatifs avec l'objectif qu'un scrutin symbolique ait tout de même lieu autour des mesures d'âge, sans s'exposer au couperet de l'article 40. Certains proposent, par exemple, d'établir "un objectif d'abrogation" des 64 ans à l'horizon 2024.
Yaël Braun-Pivet a annoncé mercredi qu'elle examinerait ces "plus de 300 amendements". "Il y aura évidemment d'autres irrecevabilités qui seront prononcées".
Le groupe parlementaire La France insoumise (LFI) déposera jeudi une motion de censure contre le gouvernement, a annoncé sa présidente, Mathilde Panot, devant des journalistes. "La lutte continuera", a promis mardi le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon, sans savoir "sous quelle forme", après que le patron de la CFDT Laurent Berger a estimé que "le match est en train de se terminer".
(Avec AFP)