Respecter une promesse environnementale ou sauver l'emploi sur fond de crise économique ? Avec son projet de loi permettant le recours temporaire et encadré à des insecticides néfastes pour les abeilles, le gouvernement est accusé de brouiller son message sur la transition écologique. Une exception qu'il justifie par la sauvegarde d'une filière qui emploie 46.000 personnes.
Un hiver et un printemps trop chauds: en raison de la prolifération d'un puceron vert vecteur de la maladie qui affaiblit les plantes dans de nombreuses régions, les betteraves issues de semences non enrobées d'insecticide sont atteintes de "jaunisse".
La réintroduction de semences enrobées avec des néonicotinoïdes doit permettre de protéger les rendements sucriers. Le hic est que ce type de pesticide a été interdit en 2018. Et voilà le gouvernement obligé de rétro-pédaler, en s'appuyant sur le règlement européen sur les phytosanitaires permettant de déroger à l'interdiction en l'absence d'alternative.
"C'est une question de souveraineté", met en avant le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, alors que 11 pays producteurs ont en Europe autorisé les dérogations pour les néonicotinoïdes.
"Nombre de planteurs, en ce moment-même, hésitent à replanter des betteraves" et "si les sucreries ferment, c'est toute la filière de la betterave qui peut disparaître en une ou deux saisons", fait valoir le ministre.
C'est lui qui sera présent dans l'hémicycle et non la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, qui avait elle-même porté en 2016 la loi interdisant ces insecticides et appuie désormais cette réautorisation ciblée. Le coup d'envoi des débats aura lieu en milieu d'après-midi, avec plus de 130 amendements au menu.
Pas de "renoncement"
Pour le gouvernement, qui a le soutien des LR, le projet de loi n'est pas "un renoncement écologique". Il programme "la fin des néonicotinoïdes" à l'horizon 2023 et "personne ne nie les dangers de cette substance", souligne le rapporteur LREM, Grégory Besson-Moreau.
Pourquoi dès lors ne pas y renoncer, tempêtent les opposants? Happening près du Palais Bourbon, tribunes, les pro-environnement et la gauche estiment que le projet de loi, conçu selon eux "sous la pression des lobbys de l'agriculture", est un "recul démocratique majeur" et un "contresens historique".
A l'Assemblée nationale, le chef de file des insoumis, Jean-Luc Mélenchon, portera une motion de rejet préalable du texte.
Dimanche, c'est l'ancien ministre de l'Ecologie Nicolas Hulot qui était monté au créneau en appelant "les députés à ne pas voter" le projet de loi. "C'est le dernier grand vote sur la biodiversité du quinquennat", attaque Matthieu Orphelin (EDS). Ce proche de Nicolas Hulot a obtenu un vote solennel sur l'ensemble du projet de loi, qui aura lieu mardi et lors duquel tous les députés "pourront se positionner sur ce sujet important".
En dramatisant l'enjeu, l'ex-marcheur cherche à enfoncer un coin au sein du groupe majoritaire, où des voix dissonantes sont apparues, à l'instar de Jean-Charles Colas-Roy.
Dans le journal L'Opinion, le député de l'Isère, référent "transition écologique" de LREM, promet de ne pas voter le projet de loi, invitant chacun à "se positionner en son âme et conscience".
"Le débat existe sur un sujet aussi sensible (...) dans le groupe, dans la majorité, comme dans d'autres pays", reconnaît Christophe Castaner, le patron des députés LREM. Mais pour lui, la mesure gouvernementale a été "profondément encadrée" et "un point d'équilibre" a été trouvé.
Pour "verdir" leur position, les députés LREM ont fait voter en commission la création d'un conseil de surveillance où figureront quatre parlementaires. Et aussi l'interdiction, sur des parcelles où ont été utilisés des néonicotinoïdes, d'implanter des cultures attirant les abeilles afin de ne pas les exposer.
Les députés ont, en outre, précisé que les dérogations permises visaient explicitement les betteraves sucrières. Le gouvernement l'avait promis mais ne voulait pas l'inscrire dans le texte par crainte d'une censure du Conseil constitutionnel. Un amendement de la marcheuse Claire O'Petit pourrait permettre de trouver un compromis.
(Avec AFP)