- "Aucune pétition auparavant n’avait connu en France un tel succès : lancée le 19 février, la pétition en ligne ‘Loi travail : non merci !’ dépassait deux semaines plus tard le million de signatures". Le Monde, première phrase d’une enquête sur "La pression des pétitions" du 2 avril 2016
Nous sommes dans une société de l’immédiateté. On veut nous faire croire que ce qui se passe est sans précédent. Erreur : en 1960, le Comité national d’action laïque (CNAL) a organisé une pétition nationale contre la Loi DEBRÉ qui venait d’être adoptée et concernait le financement de l’enseignement privé par voie de contrat. Le CNAL, avec la participation notamment de très nombreux instituteurs (et sans réseaux sociaux ! et pour cause...) organisa méthodiquement un quadrillage du territoire, village par village, quartier par quartier de ville.
Les soutiens étaient recueillis exclusivement en porte-à-porte. Ils étaient collectés sur des cahiers, avec signature manuelle et indication de l’adresse, de façon à ce que des huissiers puissent contrôler la régularité des opérations. Résultat ? 10.812.697 signatures !
En juin 1960, une grande journée nationale réunit à Paris 25.000 artisans de ce succès. Le bilan fut dressé département par département. La palme revenant à la Creuse, où la pétition avait obtenu l’accord de 93% des électeurs ( ! ). Par rapport au nombre de votants aux législatives de 1958, la pétition avait dépassé les 50% dans 65 départements. Cela avait été le cas en Franche-Comté pour le Jura, la Haute-Saône, le Territoire de Belfort et le Doubs (82.584 signatures sur 155.721 électeurs). Les organisateurs soulignaient notamment le cas de Pontarlier (4.428 signatures sur 8.020 électeurs inscrits soit 55,2%).
Commentaire : comparaison n’est pas raison. Il n’y avait pas internet. Il y avait eu des contacts personnels, des échanges, sur la base d’un argumentaire, et contrôle sérieux pour éviter les signatures multiples. Aujourd’hui, on se contente d’un « clic », tandis que se multiplient les pétitions sur tous les sujets. Il est beaucoup fait appel aux émotions, au détriment de la raison.
Les signatures par écran déshumanisent : ça ne remplace pas les dialogues entre personnes ayant recours à la parole, il n’est pas besoin d’avoir lu LEVINAS ou RICOEUR pour avoir conscience d’un risque de régression à l’heure où tout le monde s’autorise à avoir un avis sur tout, sans prendre le temps d’étudier les sujets traités tant les sollicitations des réseaux sociaux sont multiples, les fièvres médiatiques se succédant à un rythme accéléré.
Nous sommes au temps du buzz.
Joseph Pinard
Agrégé d’Histoire, ancien Député du Doubs