L'entourage d'Emmanuel Macron a indiqué récemment que "certains pans" de cette réforme, qui a déclenché un mouvement social d'ampleur durant l'hiver 2019-2020, pourraient "revenir, ceux qui concernent la justice sociale".
La proposition de loi portée par André Chassaigne a toutefois été réécrite en partie par la majorité, suscitant l'ire du patron des députés communistes.
Son texte doit s'appliquer aux retraités futurs, mais aussi actuels, ce que ne prévoyait pas le projet de l'exécutif. Ce point a été conservé.
Mais la majorité a repoussé l'application d'un an, au 1er janvier 2022 "au plus tard". "Si nous pouvons le faire plus tôt, nous le ferons", s'est engagé le secrétaire d'Etat aux Retraites Laurent Pietraszewski, mettant en avant des difficultés techniques.
Le président de la MSA (Sécurité sociale agricole), Pascal Cormery, avait pourtant assuré la semaine dernière que l'application était possible dès le 1er janvier 2021.
Les députés ont aussi prévu une prise en compte de l'ensemble des pensions des agriculteurs. Avec comme conséquence que ceux disposant d'une autre retraite, du fait d'un emploi annexe, pourraient ne pas être concernés.
C'est "la fausse note, la mouche dans le lait", a critiqué M. Chassaigne, avec des accents de Michel Audiard. Le nombre de bénéficiaires potentiels va chuter de 290.000 à 196.000. Les députés LR ont dénoncé le fait que la proposition de loi était "vidée de sa substance", appelant à "un acte de justice sociale".
Le "symbole" du 18 juin
"A quoi sert-il au président de la République d'être au Mont Valérien, puis à Londres, si sa majorité vote contre le symbole" en faveur des agriculteurs, a demandé Jean Lassalle (Libertés et territoires) en ce 18 juin.
Ce texte "est un mieux, un petit mieux" aux yeux des socialistes.
La pension mensuelle brute touchée par les chefs d'exploitation atteint actuellement autour de 953 euros en moyenne pour les hommes, 852 euros pour les femmes. Mais un agriculteur sur trois a une retraite inférieure à 350 euros par mois, a rappelé M. Chassaigne, élu du Puy-de-Dôme.
La proposition de loi doit assurer une garantie à 1.025 euros mensuels, soit un gain de 120 euros, pour une carrière complète. La mesure "colle avec l'engagement du président de la République de mettre en oeuvre un minimum de retraite porté à 1.000 euros en 2022", a fait valoir M. Pietraszewski.
Pour la FNSEA, premier syndicat agricole, et les Jeunes Agriculteurs, la revalorisation est "un pas en avant, fruit d'un travail de longue haleine", mais "pas suffisant": "la pension minimum reste fixée à 555 euros par mois" pour conjointes et aides familiaux. Ces organisations seront en outre "très vigilantes pour que ce soit bien la solidarité nationale qui finance cette revalorisation".
Le texte PCF avait été adopté également à l'unanimité en première lecture en février 2017 sous la précédente législature. Mais en mai 2018, le gouvernement avait fait échouer son adoption au Sénat, alors que se préparait la réforme des retraites par points.
La majorité assure maintenant que la mesure pour les agriculteurs en est une "anticipation".
Le communiste Sébastien Jumel a récusé l'idée, la proposition de son groupe n'étant "ni une pièce détachée, ni un prologue" de la réforme gouvernementale.
Le groupe PCF a placé sa journée réservée ("niche" parlementaire) "sous le jour de +l'Etat qui protège+". Mais les autres textes étaient rejetés les uns après les autres par l'Assemblée. A l'idée par exemple d'un "revenu étudiant", le gouvernement a opposé son "combat contre la précarité étudiante" depuis 2017.
Et face à une proposition de loi de programmation pour l'hôpital public, gouvernement et majorité ont argué de divergences sur la méthode, en plein "Ségur de la santé".
"L'oubli" des conjointes
Mais la FNSEA a déploré jeudi l'"oubli" des conjointes, après le vote d'une proposition de loi visant à revaloriser les pensions de retraites des agriculteurs de 75 à 85% du Smic à compter de 2022.
C'est "un premier pas", mais les conjointes ont été "tristement oubliées", a regretté le syndicat majoritaire, qui souhaite que soit "réparée l'injustice subie par les conjointes et les aides familiaux dont la pension minimum reste fixée à 555 euros par mois".
Entre 25.000 et 50.000 personnes sont concernées, selon Robert Verger, président de la commission sociale et fiscale de la FNSEA.
"Le conjoint est en disparition dans le monde agricole, quand même, puisqu'on a une érosion du nombre de conjoints collaborateurs de 9% par an", a-t-il déclaré, évoquant la possibilité pour les conjointes, mais aussi les conjoints masculins, depuis de nombreuses années, d'être associé exploitant, que ce soit dans les EARL ou dans les Gaec (groupements agricoles d'exploitation en commun).
Autre "injustice" dénoncée par la FNSEA, l'exclusion de la réforme des "poly-pensionnés qui ont cotisé dans plusieurs régimes": "au final, cette limitation exclut 100.000 agriculteurs retraités" (196.000 bénéficiaires potentiels sur un total initial de 290.000), a souligné le syndicat, pour qui "cet oubli doit être réparé".
"Nous serons enfin très vigilants pour que ce soit bien la solidarité nationale qui finance cette revalorisation conformément aux engagements du gouvernement. Nous avons encore en mémoire la revalorisation à 75% du Smic, en 2016, qui avait été au final en partie supportée par les actifs agricoles", a conclu le syndicat.
Par le biais de cette proposition de loi portée par le député communiste André Chassaigne, votée à l'unanimité, c'est un des volets du projet gouvernemental de réforme générale des retraites, suspendu depuis la crise du coronavirus, qui fait son retour. L'entourage d'Emmanuel Macron a fait savoir récemment que "certains pans" pourraient "revenir, ceux qui concernent la justice sociale".