Le plus vieux Premier ministre de la Ve République succède ainsi à Matignon à Gabriel Attal, 35 ans, qui était lui le plus jeune, nommé il y a seulement huit mois et démissionnaire depuis 51 jours. Il va devoir tenter de former un gouvernement susceptible de survivre à une censure parlementaire, pour mettre fin à la plus grave crise politique depuis 1958.
Le président "l’a chargé de constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays et des Français", a déclaré l’Elysée dans un communiqué. Emmanuel Macron "s’est assuré que le Premier ministre et le gouvernement à venir réuniraient les conditions pour être les plus stables possibles et se donner les chances de rassembler le plus largement", a ajouté la présidence.
Le Président de la République a nommé Monsieur Michel BARNIER Premier ministre. Il l’a chargé de constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays et des Français. pic.twitter.com/beWhuEh42L
— Élysée (@Elysee) September 5, 2024
Michel Barnier, qui fut aussi candidat malheureux à la primaire du parti Les Républicains en vue de la présidentielle de 2022, hérite d’une tâche aux allures de mission impossible, tant aucune coalition viable n’a jusqu’ici émergé.
En attendant, les ministres démissionnaires vont eux rester en fonctions pour continuer de gérer les affaires courantes le temps des négociations.
Négociateur en chef de l'Union européenne pour le Brexit
Vieux routier de la politique, Michel Barnier est réputé bon médiateur : il a été le négociateur en chef de l’Union européenne pour le Brexit lorsque le Royaume-Uni a quitté le bloc continental. Avant cela, il a été ministre à plusieurs reprises depuis 1993, notamment sous les présidences de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy.
Plus récemment, lorsqu’il lorgnait sur l’Elysée, ce gaulliste centriste avait durci son discours sur l’immigration, prônant pour un "moratoire" et allant, lui l’Européen convaincu, jusqu’à remettre en cause la Cour européenne de justice au nom de la "souveraineté juridique".
L’Elysée a repoussé à plusieurs reprises une nomination au fil des consultations menées par Emmanuel Macron. Et avait épuisé plusieurs autres cartouches, de Bernard Cazeneuve à gauche à Xavier Bertrand à droite, en passant par le président du Conseil économique, social et environnemental Thierry Beaudet pour la société civile.
L’ex-Premier ministre Bernard Cazeneuve, qui a quitté le Parti socialiste, a assuré peu avant l’annonce de cette nomination qu’il aurait accepté d’être nommé à Matignon par "devoir". Il a appelé le président à "se résoudre aux résultats de l’élection et puis ensuite laisser le gouvernement gouverner".
Emmanuel Macron et ses stratèges avaient défini deux critères pour enfin adouber une personnalité: "sa +non censurabilité+", c’est-à-dire la garantie que son gouvernement ne sera pas immédiatement renversé par l’Assemblée, et sa capacité à former une "coalitation", néologisme macroniste pour évoquer un mélange de coalition et de cohabitation.
Le chef de l’Etat avait en effet reconnu que son camp avait perdu les élections. C’est le Nouveau Front populaire qui est arrivée en tête, mais loin de la majorité absolue, devant le bloc présidentiel et le Rassemblement national.
Depuis, l’alliance de gauche qui va de La France insoumise aux socialistes réclame de gouverner, mais Emmanuel Macron a écarté en août sa candidate, la haute fonctionnaire Lucie Castets, en estimant qu’elle était vouée à une censure certaine.
Le RN jugera "sur pièces"
Michel Barnier est-il assuré, lui, de la viabilité de son futur exécutif ? Rien n’est moins sûr. A gauche, le chef des députés socialistes Boris Vallaud a rappelé sur France 2 que la droite ferait "l’objet d’une sanction parce que ce sera pour mettre en œuvre une politique de droite".
La cheffe de file des députés de La France insoumise, Mathilde Panot, a accusé le chef de l’Etat de ne pas respecter avec cette nomination la "souveraineté populaire" et le "choix issu des urnes". "On sait à la fin qui décide : elle s’appelle Marine Le Pen. C’est à elle que Macron a décidé de se soumettre", a fustigé la secrétaire nationale des Écologistes Marine Tondelier. Le parti d’extrême droite, qui menaçait de censure immédiate Bernard Cazeneuve et Xavier Bertrand, doit maintenant définir sa position.
Le RN, qui peut à tout moment faire tomber le futur gouvernement avec le NFP, "jugera sur pièces son discours de politique générale", a déclaré cette fois-ci le président du parti, Jordan Bardella.
Une forme d'alternance ?
Quant à cette "odeur de cohabitation" que l’entourage d’Emmanuel Macron recherchait pour incarner une forme d’alternance, ce n’est pas avec Michel Barnier qu’elle devrait être la plus enivrante. Il est venu d’une droite pro-européenne et jugée "pragmatique", et il a souvent été considéré "Macron-compatible".
Le chef de l’Etat "cherchait un clone, il a fini par le trouver", a ironisé sur BFMTV le communister Ian Brossat, qui voit dans ce choix "la promesse d’une continuité absolue".
Ces derniers jours, plusieurs sources, jusque parmi ses soutiens, décelaient chez le président une réticence à se tourner réellement vers le centre-gauche, de crainte de voir son bilan économique détricoté".
Le camp présidentiel devrait participer au gouvernement Barnier ou en tout cas le soutenir.
"Il est très apprécié des députés de droite sans que ce soit un irritant à gauche", s’enthousiasme une ministre démissionnaire de l’aile droite de la Macronie. "On doit savoir faire avec", tempère un dirigeant centriste, avec beaucoup moins d’engouement.
Plusieurs macronistes semble ainsi presque résignés, se disant que Michel Barnier est le plus petit dénominateur commun et que, vu son âge, il ne devrait pas effrayer tous ceux qui rêvent de briguer l’Elysée en 2027. "J’en suis au stade où je pense que l’urgence absolue pour le président c’est qu’il nomme quelqu’un. Je n’en suis même plus au stade de donner un avis", lâchait un confident d’Emmanuel Macron juste avant l’annonce officielle.
(Source AFP)