"La surexposition des enfants aux écrans pourrait être le mal du siècle", estimaient en décembre une centaine de députés français dans une tribune au Monde.
Ces élus appartiennent à la majorité présidentielle d'Emmanuel Macron mais leur texte était également signé par des opposants de droite comme de gauche, tel l'ancien candidat socialiste à la présidentielle Benoît Hamon, ainsi que des personnalités comme le chanteur du groupe Indochine, Nicola Sirkis.
Ce vaste panel témoigne du vaste retentissement d'une inquiétude: les enfants passent trop de temps devant les écrans - ordinateurs, smartphones, télévisions, etc - et cela met en danger leur bon développement intellectuel.
Régulièrement exprimée depuis des années dans un contexte d'essor des nouvelles technologies, cette crainte a trouvé un nouvel écho avec la crise du Covid. La fermeture des écoles et les confinements ont particulièrement exposé les enfants aux écrans, que ce soit dans un cadre scolaire ou récréatif.
Or, les écrans ont "une influence néfaste sur le sommeil, l'alimentation ou encore la gestion des émotions", ils menacent aussi "l'acquisition du langage (et) la mémorisation des savoirs", martelaient les signataires de la tribune, qui ont déposé fin février à l'Assemblée une proposition de loi pour mener des actions de sensibilisation.
Pourtant, ces inquiétudes sont loin de faire l'unanimité chez les psychiatres et les spécialistes du développement de l'enfance. Les études sur le sujet sont nombreuses, mais leurs conclusions varient beaucoup et leur qualité est très inégale.
Chez les enfants de moins de douze ans, il existe bien un lien entre le temps passé devant les écrans et d'éventuels problèmes comportementaux, mais celui-ci est "faible", montre une étude publiée cette semaine dans le JAMA Psychiatry, l'une des principales revues de recherche psychiatrique.
Un symptôme plutôt qu'une cause
Cette étude est importante car ce n'est pas un travail isolé parmi d'autres. Il s'agit d'une "méta-analyse", qui reprend un grand nombre d'études pré-existantes et évalue notamment leur niveau de sérieux. Ses conclusions sont donc, a priori, bien plus solides que ces travaux pris séparément.
Or, ce sont justement les études les moins sérieuses qui tendent à être les plus alarmistes. Selon les auteurs, ces travaux ont fréquemment tendance à "exagérer les effets (des écrans) à cause d'un manque de rigueur méthodologique".
Les auteurs constatent aussi que les études les plus récentes font, dans l'ensemble, de moins en moins état d'un lien marqué entre exposition aux écrans et troubles du comportement.
Certes, cette étude admet qu'il existe un rapport entre les deux phénomènes mais "les liens trouvés sont vraiment légers, ce qui est rassurant", a commenté le psychiatre britannique Russell Viner, qui n'a pas participé à ce travail.
Surtout, il est très difficile de dire dans quelle direction va le rapport de cause à effet. Les enfants rencontrent-il des problèmes parce qu'ils ont trop regardé les écrans... ou passent-ils trop de temps devant ces derniers parce qu'ils ont déjà des problèmes, par exemple liés à des difficultés dans leur foyer ou à un manque de vie sociale ? En ciblant les écrans, on risque de s'attaquer au symptôme plutôt qu'à la cause.
"C'est un sujet très complexe et on ne peut pas conclure que c'est l'exposition aux écrans qui crée des problèmes", a estimé Russell Viner, dans un commentaire adressé à l'organisme Science Media Center.
"Pour de nombreux enfants, comme pour nous les adultes, (...) les écrans peuvent être une source positive d'éducation et de distraction", a-t-il conclu.