L’audience devant la Cour de justice de la République (CJR), seule habilitée à poursuivre et juger des membres du gouvernement pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions, doit s’ouvrir ce lundi à 14 heures au palais de justice de Paris.
Maintenu dans ses fonctions malgré sa mise en examen, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti pourra continuer tout au long de son procès, prévu jusqu’au 16 novembre, à exercer ses fonctions à la faveur de "mesures pratiques et classiques d’organisation du travail gouvernemental". "Il faudra qu’il ait le temps nécessaire pour se défendre", a justifié vendredi la Première ministre Elisabeth Borne, ajoutant que "l’organisation est en place pour que le ministère continue à tourner".
S’il est reconnu coupable de "prise illégale d’intérêts", il encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende, et une peine complémentaire d’inéligibilité et d’interdiction d’exercer une fonction publique.
M. Dupond-Moretti est "serein", selon son entourage. L’ancien ténor du barreau se dit "innocent" et répète n’avoir fait que suivre "les recommandations" de son ministère en lançant des enquêtes administratives contre quatre magistrats avec qui il avait eu des différends quand il était avocat.
Pendant l’enquête, celui qui a toujours entretenu des relations rugueuses voire hostiles avec les juges a dénoncé une instruction "biaisée" visant à "salir la réputation d’un ancien avocat" et nourrir son procès en "illégitimité à occuper les fonctions de garde des Sceaux".
"On a basculé dans la République des juges"
Ce dossier inédit débute fin juin 2020, en marge de l’affaire de corruption dite "Paul Bismuth" visant l’ancien président Nicolas Sarkozy. Le Point révèle que des magistrats du Parquet national financier (PNF) ont fait éplucher les factures téléphoniques détaillées (fadettes) de plusieurs avocats, dont Eric Dupond-Moretti, pour débusquer une éventuelle taupe qui aurait informé M. Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu’ils étaient sur écoute. Eric Dupond-Moretti, ami très proche de Me Herzog, dénonce une "enquête barbouzarde". "On a basculé dans la République des juges", "on est chez les dingues", s’insurge celui qui est alors l’un des avocats les plus médiatiques du pays, avant de porter plainte.
La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, demande une "inspection de fonctionnement" sur l’enquête du PNF. Quelques jours plus tard, coup de théâtre : à la surprise générale, Eric Dupond-Moretti raccroche la robe pour prendre sa succession place Vendôme. Malgré des alertes sur le risque de conflits d’intérêts, il refuse de suspendre l’inspection. Il ordonne une enquête administrative contre deux des magistrats chargés de l’enquête et la cheffe du PNF de l’époque, Eliane Houlette.
Une vingtaine de témoins à la barre
Il ouvre également, dans une autre affaire, une enquête contre un quatrième magistrat, Edouard Levrault, ex-juge détaché à Monaco dont il avait dénoncé les méthodes de "cow-boy" et contre lequel il avait porté plainte au nom d’un client pour violation du secret de l’instruction.
Le ministre "qui savait mieux que quiconque les conflits d’intérêts qu’il pouvait avoir avec les magistrats concernés" aurait dû s’abstenir d’être "décideur", a conclu l’enquête.
"J’ai fait ce que n’importe quel garde des Sceaux aurait fait à ma place", s’est défendu M. Dupond-Moretti, qui a réfuté toute idée de "vengeance" et qualifié d’"humiliation" la perquisition ordonnée à son ministère en juillet 2021.
Les quatre magistrats visés ont été blanchis fin 2022 par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), leur organe disciplinaire, qui a estimé que le garde des Sceaux s’était "trouvé dans une situation objective de conflit d’intérêts".
Une vingtaine de témoins se succéderont à la barre au procès. Outre les magistrats, des syndicalistes à l’origine des plaintes qui ont déclenché la procédure sont appelés à témoigner. De même que l’ex-procureur général près la Cour de cassation François Molins et l’ancienne ministre de la Justice Nicole Belloubet.
(AFP)