Le Crédit Agricole s’offre son premier siège social, une maison dans le Jura

C’est à la fin du XIXème siècle que le Crédit Agricole mutuel est né dans une maison rose à Salins-les-Bains (arrondissement de Poligny). Cette dernière vient d’être achetée par le groupe régional. Petit tour dans l’histoire du XIIIème siècle à nos jours…

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Dès le 13ème siècle, on trouve mention dans les textes des premières "fructières" comtoises, autrement dit fruitières, le lieu où l’on met en commun les moyens de production, selon le véridique adage : "l’union fait la force". Ce n’est donc pas un hasard si à la fin du 19ème siècle Salins-les-Bains (arrondissement de Poligny) constitue le lieu de naissance du premier crédit agricole mutuel. Pour mémoire, il faut savoir que Proudhon pose le premier le principe des sociétés de crédit mutualistes. 

Depuis 1840, le monde agricole traverse une crise conjoncturelle et structurelle. La révolution industrielle, première vague de la mondia- lisation, plonge la paysannerie française dans les affres d’une profonde remise en question, source donc d’une interrogation majeure : que va, que doit devenir le monde rural ? "Depuis la Révolution, la paysannerie française a un rôle fondamental dans la vie politique française : elle constitue une force essentielle" note l’historien André Gueslin, spécialiste de l’histoire du Crédit Agricole. 

Naissance en 1884 

Il s’agit bien de politique, de souci d’une bonne "gestion de la cité" de la "chose publique" (la république). La terre est nourricière, certes, mais il y faut des hommes et des femmes, des familles et des bras, pour la faire fructifier. Il convient donc d’assurer la pérennité du monde paysan et de lui donner les moyens d’exister et d’entrer dans la modernité. Après plusieurs tentatives, dont celle de Napoléon III, le crédit agricole mutuel, source originelle du Crédit Agricole du 21ème siècle, naît à la fin de l’année 1884... 

"Un paysan qui emprunte est un homme fichu" 

Le monde paysan est un monde fait de prudence, voire de méfiance à l’égard de l’argent. En 1887, Zola fait dire, dans son roman "La terre", au fermier Hourdequin : "Un paysan qui emprunte est un homme fichu". C’est dire si l’initiative de Louis Milcent est hardie.

Cette initiative est le fait de notables, de propriétaires terriens (dont Alfred Bouvet, négociant en bois, et le Marquis de Froissard) qui ont bien conscience de la vulnérabilité de l’économie agricole et des gens qui la font. Cela est déterminant dans la "success story" du Crédit Agricole qui s’annonce... 

149 membre au syndicat agricole de l’arrondissement de Poligny

Louis Milcent, "grand bourgeois établi sur sa propriété et attentif à sa gestion", juriste confirmé (auditeur au Conseil d’Etat) et excellent orateur, va se baser sur la loi du 24 mars 1884 qui consacre la liberté d’association professionnelle. Celle-ci permet la réunion du 17 novembre 1884 qui réunit à Salins-les-Bains 72 agriculteurs représentant au total les 149 adhésions constitutives du Syndicat agricole de l’arrondissement de Poligny – la réunion étant présidée par Alfred Bouvet. 

Louis Milcent, qui connaît l’histoire alors récente des caisses rurales Raiffesein nées en Allemagne, donne le mode d’emploi de la future Société : "Dans un canton, un certain nombre de propriétaires, de fermiers, de cultivateurs, se connaissant bien, forment une Société par actions. L’apport est faible : en versant cinq francs on peut être sociétaire. Mais nul ne peut être admis sans être agréé par le Conseil ; il n’y a que ceux qui sont honnêtes, travailleurs, économes, soucieux de remplir leurs devoirs et de faire honneur à leurs engagements, qui sont admis. C’est une élite qui s’associe. La Société fondée, on se prête entre soi l’argent mis en commun, jamais à d’autres. Supposez que les principaux propriétaires d’un canton se mettent à la tête, qu’ils fassent les premiers sacrifices, qu’ils administrent eux-mêmes la Société avec prudence, avec dévouement, le succès alors ne sera pas douteux. Eh bien ! c’est ce que nous voulons faire. Quand on aura confiance en nous, on nous nous confiera les épargnes, et les économies des cultiva- teurs serviront à féconder le travail agricole, au lieu de s’en aller au loin pour être trop souvent perdues. Il y a encore parmi nous des gens honnêtes, des gens de cœur, et c’est à ceux-là seulement que nous faisons appel pour former une Société de crédit mu- tuel."

Le 25 février 1885, la Caisse locale de Salins-les-Bains est constituée et le premier siège social s’installe dans la maison située en face du champ de foire de la Barbarine. 

La loi du 6 novembre 1894 

Milcent et ses associés ont posé les premiers jalons d’une histoire qui affiche 130 ans. La loi du 6 novembre 1894 (portée par Jules Méline) porte sur les fonds baptismaux la création des Caisses locales du Crédit Agricole. 

Cette histoire connaît son premier pinacle dès la fin du 19ème siècle, période d’une mutation majeure de la société française. André Gueslin note ainsi : "Les années 1889 (année du congrès international d’agriculture à Paris) à 1899 sont fondamentales. Elles sont marquées par une œuvre législative considérable qui marque la naissance de ce qu’il est convenu d’appeler le Crédit Agricole officiel." "La terre est devenue aujourd’hui une grande usine. La terre ne donne qu’à ceux qui lui prêtent" notait Jules Méline.

Depuis, le Crédit Agricole, sans oublier les fondamentaux qui l’ont porté et le portent toujours, a connu un essor considérable. Le groupe "n’oublie pas ses racines et c’est pour cela que la Maison de Salins-les-Bains revêt une importance particulière. Elle incarne la Banque d’aujourd’hui. En Franche-Comté, où la réalité agricole, pilier de l’économie, est toujours aussi prégnante, le Crédit Agricole réunit 495 352 clients et fédère 134 agences de proximité". 

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