La mesure emblématique de cette réforme controversée, le report progressif de l'âge légal de départ en retraite à 64 ans, aura donc force de loi dès qu'Emmanuel Macron aura promulgué le texte.
L'institution de la rue de Montpensier a en revanche sans grande surprise censuré plusieurs "cavaliers sociaux" qui "n'avaient pas leur place dans la loi déférée" qui est de nature financière. Parmi ceux-ci : l'index sur l'emploi des seniors, qui devait être obligatoire dès cette année pour les entreprises de plus de 1.000 salariés, et dont la non-publication devait être passible de sanctions financières.
Également censuré, le CDI seniors, un ajout des sénateurs de droite, qui devait faciliter l'embauche des demandeurs d'emploi de longue durée de plus de 60 ans.
Le référendum d'initiative partagée rejeté
L'institution présidée par l'ex-Premier ministre socialiste Laurent Fabius n'a pas suivi les parlementaires de gauche ou du Rassemblement national, qui avaient plaidé un détournement de procédure parlementaire pour faire adopter la loi. Un choix qui "ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle", selon le Conseil, qui évoque cependant le "caractère inhabituel" de l'accumulation de procédures visant à restreindre les débats.
Le Conseil a par ailleurs rejeté le projet de référendum d'initiative partagée portée par la gauche (RIP), qui espérait un feu vert pour entamer la collecte de 4,8 millions de signatures en vue d'une hypothétique et inédite consultation des Français pour contrecarrer le projet du gouvernement.
Les parlementaires de gauche ont déposé jeudi un deuxième texte, sur lequel le Conseil constitutionnel statuera le 3 mai.
Des décisions qui risquent de ne pas éteindre les mobilisations
La parole du Conseil était particulièrement attendue par Emmanuel Macron et son gouvernement, qui espèrent pouvoir surmonter la contestation enracinée depuis janvier, et reprendre la marche d'un quinquennat sérieusement entravé dès sa première année.
Des décisions, non susceptibles de recours et auxquelles le mouvement social et la classe politique étaient suspendus depuis plusieurs semaines, risquent cependant de ne pas éteindre les mobilisations.
Invitation aux syndicats
Emmanuel Macron n'a pas attendu la décision du Conseil pour tenter d'enclencher la suite et faire savoir qu'il avait convié les syndicats à l'Elysée pour un dialogue "sans préalable".
Mais jeudi, lors de la 12e journée de mobilisation, les destinataires ne semblaient guère disposés à déférer à l'agenda présidentiel et plutôt tournés vers leur rendez-vous traditionnel du 1er mai. "Il y a une décence à avoir, les gens ne vont pas passer à autre chose comme ça", jugeait le patron de la CFDT Laurent Berger.
"On va d'abord lui laisser les 15 jours de réflexion", a abondé son homologue de FO Frédéric Souillot, qui appelait M. Macron à ordonner une nouvelle délibération au Parlement et à "ne pas appliquer la loi". Mais le chef de l'Etat devrait promulguer la loi dans les prochains jours, a assuré l'Elysée.
M. Macron réunira lundi 17 avril les cadres de sa majorité. Et devrait rapidement s'adresser aux Français. Il "a envie d'en découdre, il est remonté comme un coucou", observe un conseiller ministériel.
L'intégralité du communiqué du Conseil constitutionnel :
Décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023 - Communiqué de presse
Saisi de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, le Conseil constitutionnel écarte les critiques tirées de l’irrégularité de la procédure suivie pour son adoption, mais censure six séries de « cavaliers sociaux »
Par sa décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023, qui compte 120 paragraphes, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. Il en avait été saisi par la Première ministre, par deux recours émanant, chacun, de plus de soixante députés, ainsi que par un recours émanant de plus de soixante sénateurs.
**Sur la procédure suivie pour l’adoption de la loi ** - Les députés et sénateurs requérants critiquaient en particulier le recours à une loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour procéder à une réforme des retraites. Ce choix du Gouvernement aurait constitué selon eux un détournement de procédure, dans le seul but de lui permettre de bénéficier des conditions d’examen accéléré prévues à l’article 47-1 de la Constitution, alors qu’une réforme de cette nature aurait dû être examinée selon la procédure législative ordinaire.
Pour examiner ces critiques de procédure, le Conseil s’est appuyé sur les termes des articles 34 et 47-1 de la Constitution qui instituent la catégorie des lois de financement de la sécurité sociale, et sur les dispositions organiques qui sont venues en préciser l’application.
Le Conseil juge qu’il ne résulte pas de ces textes, ni au demeurant des travaux préparatoires des dispositions organiques en vigueur, que le recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale serait subordonné à d’autres conditions que celles résultant de ces dispositions. Ainsi, contrairement à ce que soutenaient les requérants, le recours à un tel véhicule législatif n’est pas subordonné à l’urgence, à des circonstances exceptionnelles ou à un déséquilibre majeur des comptes sociaux.
Lorsque le Conseil constitutionnel est saisi d’une loi de financement rectificative de la sécurité sociale, il lui revient uniquement de contrôler qu’elle comporte les dispositions relevant du « domaine obligatoire » (article liminaire, présentation en deux partie recettes/dépenses, rectification des prévisions, des équilibres et des objectifs), et de vérifier que les autres dispositions ne sont pas des « cavaliers sociaux » mais se rattachent bien à l’une des catégories du « domaine facultatif ».
Suivant cette grille d’analyse, le Conseil constitutionnel juge notamment que, si les dispositions relatives à la réforme des retraites, qui ne relèvent pas du domaine obligatoire des lois de financement de la sécurité sociale, auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l’origine par le Gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur à cet égard, mais uniquement de s’assurer que ces dispositions se rattachent à l’une des catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale.
Par ces motifs, il écarte le grief tiré de ce que le législateur aurait irrégulièrement eu recours à une loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
- Les trois recours parlementaires se rejoignaient également pour soutenir que les délais d’examen resserrés prévus à l’article 47-1 de la Constitution (20 jours devant l’Assemblée nationale puis 15 jours devant le Sénat, en première lecture, et 50 jours au total) ne pouvaient pas être appliqués à cette loi de financement rectificative.
Le Conseil constitutionnel juge à cet égard qu’il résulte du texte même de l’article 47-1 de la Constitution que ces délais d’examen sont applicables non seulement à la loi de financement de l’année, mais aussi aux lois de financement rectificatives, qui modifient en cours d’année les dispositions de cette dernière, et que l’urgence ne constitue pas une condition de leur mise en œuvre.
Dès lors, en saisissant le Sénat du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 une fois écoulé le délai de vingt jours imparti à l’Assemblée nationale pour se prononcer en première lecture, le Gouvernement s’est borné à faire application des règles particulières d’examen découlant de l’article 47-1 de la Constitution, alors que, au demeurant, eu égard à l’état d’avancement de l’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale à l’issue de ce délai, la prolongation des débats devant cette chambre n’aurait pas permis l’adoption de ce texte.
- Un autre aspect du débat concernant la procédure d’adoption de la loi avait trait à la clarté et à la sincérité des débats parlementaires. En particulier, la question était soulevée par les parlementaires requérants de savoir si l’application cumulative de plusieurs procédures prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées avait entaché d’irrégularité ou non la procédure suivie.
L’examen successif de chacune de ces procédures a conduit le Conseil constitutionnel à relever que, appliquées conformément aux règlements des assemblées, aucune n’avait porté d’atteinte substantielle aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
Puis, le Conseil constitutionnel a jugé que la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée, n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi. En l’espèce, si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions du débat, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution.
Sur le fond, concernant la réforme des retraites
Le Conseil constitutionnel était notamment saisi, par un recours émanant de plus de soixante députés, de contestations dirigées contre les dispositions de l’article 10 de la loi déférée prévoyant le report de l’âge légal de départ à la retraite de soixante-deux à soixante-quatre ans ainsi que l’accélération du calendrier de relèvement de la durée d’assurance requise pour l’obtention d’une retraite à taux plein.
Il était notamment soutenu par les auteurs de ce recours que ces dispositions compromettaient la politique de solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités et la sécurité matérielle des vieux travailleurs, en méconnaissance du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Selon eux, ces dispositions avaient en outre pour conséquence d’annuler les effets compensatoires des mesures destinées à corriger les inégalités entre les hommes et les femmes et étaient ainsi contraires au troisième alinéa du même préambule. Enfin, ils soutenaient que le report de l’âge légal de départ à la retraite avait pour effet d’accroître la prévalence des situations de chômage et l’allongement des périodes de précarité des seniors, en méconnaissance de l’article 1er de la Constitution.
Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que, aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
Suivant sa jurisprudence constante, il juge que l’exigence constitutionnelle résultant des dispositions précitées implique la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités. Il est cependant possible au législateur, pour satisfaire à cette exigence, de choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées. En particulier, il lui est à tout moment loisible, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l’article 34 de la Constitution, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Il ne lui est pas moins loisible d’adopter, pour la réalisation ou la conciliation d’objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité. Cependant, l’exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.
À cette aune, le Conseil constitutionnel relève que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer l’équilibre financier du système de retraite par répartition et, ainsi, en garantir la pérennité. Il a notamment tenu compte de l’allongement de l’espérance de vie. Au nombre des mesures qu’il a prises figurent le report à soixante-quatre ans de l’âge légal de départ à la retraite tant pour les salariés du secteur privé que pour les agents du secteur public ainsi que l’accélération du calendrier de relèvement de la durée d’assurance requise pour bénéficier d’une pension à taux plein. Le législateur a par ailleurs maintenu ou étendu des possibilités de retraite anticipée au bénéfice des personnes ayant eu des carrières longues, de celles ayant un taux d’incapacité de travail fixé par voie réglementaire ou encore des travailleurs handicapés. Il a en outre maintenu l’âge d’annulation de la décote à soixante-sept ans pour les salariés du secteur privé et institué un âge d’annulation de la décote dans la fonction publique. Ce faisant, il a pris des mesures qui ne sont pas inappropriées au regard de l’objectif qu’il s’est fixé et n’a pas privé de garanties légales les exigences constitutionnelles précitées.
Puis, se prononçant sur le grief tiré de la méconnaissance du troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le Conseil constitutionnel relève que les dispositions contestées n’ont en elles-mêmes ni pour objet ni pour effet de supprimer le bénéfice de la majoration de la durée d’assurance de quatre trimestres attribuée aux femmes assurées sociales au titre de l’incidence sur leur vie professionnelle de la maternité, prévue à l’article L. 351-4 du code de la sécurité sociale.
Les « cavaliers sociaux » censurés
Le Conseil constitutionnel a, soit sur la base des critiques formulées dans les saisines, soit d’office, censuré six groupes de dispositions qui n’avaient pas leur place dans la loi déférée.
Relevant qu’elles n’avaient pas d’effet ou un effet trop indirect sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement, le Conseil constitutionnel a, suivant sa jurisprudence constante relative aux « cavaliers sociaux », censuré :
- l’article 2, relatif à ce qu’on appelle couramment l’« index sénior »,
- l’article 3, relatif au « contrat de travail sénior »,
- l’article 6, qui apportait certaines modifications à l’organisation du recouvrement des cotisations sociales,
- certaines dispositions de l’article 10, relatives aux conditions d’ouverture du droit au départ anticipé pour les fonctionnaires ayant accompli leurs services dans un emploi classé en catégorie active ou super-active pendant les dix années précédant leur titularisation,
- certaines dispositions de l’article 17, concernant un suivi individuel spécifique au bénéfice de salariés exerçant ou ayant exercé des métiers ou des activités particulièrement exposés à certains facteurs de risques professionnels,
- et l’article 27, instaurant un dispositif d’information à destination des assurés sur le système de retraite par répartition.
Sans préjuger de la conformité de leur contenu aux autres exigences constitutionnelles, le Conseil a donc censuré ces six ensembles de dispositions, juridiquement détachables du reste de la loi.