Les photos grand format sont belles, elles sont expressives, elles révèlent les affres du travail aliénant à la chaîne, dans les filatures et dans les fonderies.
Une bonne vingtaine de photos d'ouvrières provenant de trois sites : usines Peugeot Montbéliard Doubs, filatures Emanuel Lang Hirsingue Haut-Rhin et fonderie MBF Saint-Claude Jura, exposées sur le quai Vauban à Besançon.
Une image fige un instant de vie et cependant au-delà de l’aplat je vois se dérouler , non seulement, la mise en mouvement de l'activité de ces ouvrières mais aussi de celles qui les ont précédées et ce, depuis la révolution industrielle.
La prégnance de la machine, que ce soit le métier à tisser ou les chaînes de montage qui usent, qui esclavagisent, qui déshumanisent ces femmes, à leur corps défendant, femmes qui ne font plus qu'un avec l'outil. Car il est bien question de corps dans cette exposition : corps en souffrance, corps en révolte et corps en fierté.
Après une grève douloureuse, des espoirs trahis l'entreprise MBF aluminium ferme, ce moment de bascule figure sur des clichés de Raphaël Helle. La solitude de cette femme dans une salle qui avait pu être celle des Assemblées Générales des ouvrières et des ouvriers, là où avaient pu s'exprimer les désirs, les espoirs, les utopies et que sais-je encore devant cette fermeture d'usine à laquelle personne ne voulait croire.
Elle est seule, peut-être une déléguée syndicale mais peu importe, elle est seule, affectée mais debout...
Cette ouvrière de la « Peuge » d'âge mûr, assise à son poste de travail avec dignité arborant le logo de l'usine sur sa blouse impeccable, oui elle a la force du lion en elle. J'ai appris lors de l'inauguration de cette exposition le 31 juillet 2023, de la bouche du photographe, que cette ouvrière était partie en retraite, quelques temps après cette photographie, dans la discrétion la plus totale !
Un autre portrait d'une jeune femme, le visage fatigué, le bras tendu vers l'outil de travail qui semble vouloir happer l'ouvrière dans une spirale sombre ; l'impression d'être dévorée, avalée par la machine dans un système infini et infernal.
En 1924, même dans la misère, même dans l'avilissement l'exemple de la lutte des Penn sardin (1), à Douarnenez, port breton, fut un exemple sans précédent d'une belle et victorieuse lutte de femmes sardinières des conserveries.
La captation, par l'objectif du photographe, de ces signes de fatigue, d'épuisement ainsi que de colère et de révolte sont perceptibles et demeurent dans la mémoire ouvrière qui conserve intemporellement la soif de justice.
(1) CRIGNO N Anne 2023 Une belle grève de femmes Editions Libertalia
Texte : Daniella Chaillet