Les deux ex-socialistes, aujourd'hui députés "En Marche" dans le nord Franche-Comté ont écrit une lettre de trois pages à leurs collègues autour de cinq propositions pour nourrir le "Grand Débat" lancé ce mardi 15 janvier 2019.
- Le pouvoir d'achat – Pour une conférence sociale.
- Pour plus de sécurité professionnelle
- Pour la justice fiscale
- Pour associer les Français à la transition écologique
- Ressourcer la République, approfondir la décentralisation
Avec cette lettre, les deux députés affichent leur détachement face à la méthode Macron et d'En marche et appellent à la création d'un nouveau contrat social pour faire face à cette "crise grave". "Les pouvoirs successifs ont répondu par le traitement social tout en acceptant au fond la précarisation d'une partie toujours plus grande de notre société. Ce n’est donc pas une surprise que la contestation actuelle vienne de territoires dont la population se sent à la marge de cette mondialisation. C’est cette classe moyenne que l’on ne cesse de fragiliser depuis trente ans" expliquent-ils en préambule avant de dérouler leur argumentaire ( voir ci-dessous)
Martial Bourquin : "le débat doit-être libre, sans exception et sans tabou"
De son côté le sénateur PS du Doubs Martial Bourquin se dit surpris de voir le Grand Débat imposer des thèmes. "S'il y a débat, il doit être libre : sans exception, sans tabou. Il ne peut se tenir uniquement sur les thèmes voulus par le chef de l'État. Les questions liées au pouvoir d'achat sont essentielles tout comme celles de la justice sociale, fiscale et des institutions" estime-t-il dans un communiqué. "Le Président Macron ne peut appeler au débat et annoncer d'avance qu'il ne détricotera pas ce qu'il a fait depuis 18 mois. Or, c'est avant tout sa politique, sur le matraquage fiscal et la suppression de l'ISF qui est à l'origine de cette crise sociale sans précédent. C'est aussi son style de gouvernement, la présidence jupitérienne qui décide de tout sur tout avec un grand mépris pour les Français qui sont sans cesse décriés, dévalorisés et parfois insultés.Ce style est insupportable, les Français ne le supportent plus."
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Lettre de Denis Sommer et de Frédéric Barbier - 11 janvier 2019
Chères et chers collègues,
Nous vivons une crise grave. Cette crise trouve son origine dans les politiques qui ont été conduites ces vingt ou trente dernières années. Des années où la mondialisation s'est imposée avec un élargissement des zones de croissance et de production en Europe de l'Est, en Asie. Une mondialisation qui a remis en cause notre modèle social sans que nous soyons capables d'en inventer un nouveau. Les pouvoirs successifs ont répondu par le traitement social tout en acceptant au fond la précarisation d'une partie toujours plus grande de notre société. Ce n’est donc pas une surprise que la contestation actuelle vienne de territoires dont la population se sent à la marge de cette mondialisation. C’est cette classe moyenne que l’on ne cesse de fragiliser depuis trente ans.
La métropolisation est devenue le sésame de nos réflexions et de nos politiques publiques, devant nous conduire au progrès, et des territoires entiers se sont appauvris ! Les partis traditionnels sont petit à petit apparus impuissants ou simplement accompagnateurs de ces évolutions. C'est ce qui a conduit pour une grande part à l'accession aux responsabilités d'Emmanuel Macron et de notre majorité. C'est ce constat et ce diagnostic que nous avions fait lors de "la Grande Marche" à l’origine de notre mouvement et que nous retrouvons dans les argumentaires de certains manifestants.
Nous avons développé un programme et nous l'avons promu de manière très ouverte. Mais sans corps idéologique solide, ne nous permettant pas de définir suffisamment clairement "quelle société nous voulons", autour de quelles valeurs et avec quels moyens pour y parvenir, dans une Europe et un environnement international nouveau. Le « et de droite et de gauche », ou « le progressisme » ne suffisent pas. Ainsi, la paresse intellectuelle que nous pouvons reprocher aux anciens partis ne nous a pas épargnés. Notre unité s'est construite dans un rapport filial au Président et à une certaine personnalisation du pouvoir alors que nous avons besoin de travailler largement nos politiques publiques et les arguments. Les qualificatifs utilisés dans nos rapports aux autres, de "passéiste" ou "d'ancien monde" ne suffisent pas à éclairer le débat. En gardant cette posture, nous risquons même de donner l’impression de tourner le même film au scénario inchangé avec seulement un casting différent de personnages. Si ce n'était pas bon ou insuffisant avant, faire autre chose n'est pas forcément juste par nature. Agir de cette manière, c'est aussi priver nos interlocuteurs de toute pertinence.
Or, je nous sais capables de mieux.
Nous souhaitons toutes et tous une société de liberté, une société émancipatrice pour chaque individu, où chacun sera doté de moyens de vie suffisants tout en étant acteur de son environnement. Ce n'est pas ce chemin que nous avons emprunté : preuve en est le sentiment très largement répandu que nous avons accordé peu de considération pour les collectivités territoriales et les corps intermédiaires (syndicats, associations...). Voici cinq propositions pour nourrir le débat.
1 – Le pouvoir d'achat – Pour une conférence sociale.
Des mesures ont été prises pour les actifs, pour les personnes handicapées, pour les retraités, elles étaient justes et nécessaires... Mais une question se pose à nous : est-il possible de continuer à financer du complément de salaire par la prime d'activité ? La prime d'activité a été créée pour encourager à la reprise du travail, non pas pour répondre à l'insuffisance des bas salaires. Le travail doit être rémunéré correctement. Parce que nous l’avons tous constaté sur nos territoires : La France que l’on retrouve sur les ronds-points, c’est la France qui travaille.
Ce sont les partenaires sociaux qui doivent construire des compromis répondant à cette exigence sociale. Le gouvernement doit appeler avec la fermeté nécessaire les organisations patronales et syndicales à engager ce travail. Si des réponses ne sont pas trouvées à ce niveau, que ferons-nous alors ? Augmenter à nouveau la prime d'activité en 2020 ?
Certains nous diront que toutes les entreprises ne supporteront pas une hausse de la rémunération du travail, ce qui peut être vrai pour certaines : alors débattons aussi de l’ensemble des charges qui pèsent encore, pour l’essentiel, trop sur le travail et cela principalement pour les PME qui assurent l’essentiel de l’emploi en France.
Ensuite, les récentes annonces concernant la rémunération des actionnaires des entreprises du CAC 40, qui ont atteint en 2018 un niveau similaire à celui d’avant la crise de 2008, doivent nous interroger sur les modalités de répartition de la richesse : s’agit-il d’affecter une partie importante de la richesse créée vers la rémunération du capital ? D’investir davantage dans le développement de nos entreprises ? D’agir davantage pour la rémunération des personnels ? Nous devons nous interroger sereinement sur ces questions sans tabou ni posture.
2 – Pour plus de sécurité professionnelle
Avec la loi sur l'amélioration du dialogue social, nous permettons à notre économie d'être plus flexible, mais nous faisons preuve d’une grande timidité sur la nécessaire sécurisation professionnelle, qui doit protéger, accompagner, faire grandir des salariés qui connaissent volontairement ou non des évolutions dans leur carrière professionnelle. Construire une "sécurité sociale professionnelle" voilà un chantier qui pourrait mobiliser nombre de citoyens avec leurs organisations syndicales, le monde de l'insertion professionnelle, des associations locales, les Régions et les Départements. Une initiative et un projet qui pourraient redonner une légitimité et un dynamisme à la démocratie sociale.
3 – Pour la justice fiscale
L'ISF est supprimé, mais la question de la progressivité de l'impôt sur le revenu n'est pas traitée. Nous savons tous que la dernière tranche d'imposition pour les revenus supérieurs à 156 244 € ne répond pas à l'exigence de justice : que vous perceviez un revenu annuel de 160 000, 300 000 ou 1 million €, vous êtes assujetti à la même tranche d'imposition pour la partie la plus haute de vos revenus.
De plus, la suppression de l'ISF s'est traduite par une baisse des dons aux associations, combien d'entre nous l'avions envisagé ? Nous avons besoin d'un débat national sur la justice fiscale, c'est là une revendication forte des gilets jaunes partagée très largement par les Français.
4 – Pour associer les Français à la transition écologique
La transition écologique et énergétique est indispensable. L'État de la planète le commande. Le gouvernement et le Président de la République agissent pour que l'Europe et les grands pays se mobilisent fortement sur cette question essentielle.
Mais chez nous ? Concrètement, pour la vie des gens, qu’en est-il ? Pouvons-nous penser cette transition impérieuse en dehors de toute considération locale ? Les priorités ne sont pas forcément les mêmes en termes d'isolation de bâtiment que l'on soit Marseillais ou Jurassien. Les solutions en termes de mobilité ne sont pas identiques si on est un rural ou un urbain. Pourquoi dès lors ne pas contractualiser entre l'État et les Régions, en définissant ainsi les grands objectifs et les budgets pour développer des politiques publiques adaptées aux territoires et à celles et ceux qui y résident et y travaillent ?
De la même manière, nous avons besoin d'un projet industriel puissant qui nous permette de répondre à nos besoins en matière de moyen de production d'énergie, de stockage de l'énergie, de mobilité, d'isolation. La transition écologique sera un vecteur de croissance, à condition que nous soyons capables aussi de produire des solutions et des systèmes dans notre pays. Un tel projet à la fois global et décentralisé pourrait être enthousiasmant, mobilisateur à condition là aussi que nous dégagions des moyens pour y parvenir et que nous fassions confiance et appel aux acteurs, aux collectivités, à nos concitoyens pour le construire.
5 - Ressourcer la République, approfondir la décentralisation
La crise que nous traversons peut être une chance pour le pays ou, au contraire, connaître une issue tragique, dans les rues comme dans les urnes. Il est encore temps de l’éviter. Le besoin d'expression, l'envie de participer et d'être entendu traverse tous les débats que nous avons eus sur le terrain.
Il ne faut pas que la violence des extrémistes cache cette aspiration profonde. Être consulté, pouvoir donner son avis ne doit pas être vu comme une menace, mais plutôt comme l'occasion et l’opportunité de reconstruire l'unité du pays autour d'un projet global de société. L'élaboration de diagnostics locaux, régionaux et nationaux étayés, partagés, construits autour des sujets qui préoccupent les français est la condition de la justesse et de l'efficacité de nos politiques publiques. Le référendum d’initiative citoyenne ou populaire est un moyen de consultation pratiqué dans de nombreux pays, il sera débattu durant trois mois d'échanges ; d'autres dispositifs pourraient venir l'enrichir, les outils numériques offrent aussi des solutions intéressantes et complémentaires.
Au-delà de ce débat national, nous devons réfléchir à redonner une plus grande autonomie aux collectivités locales, aux associations et aux citoyens eux-mêmes pour qu’ils puissent développer des outils pertinents et adaptés de démocratie locale et de développement des territoires.
Une démocratie vivante qui organise ses moments de respirations ; une réflexion sur la politique fiscale qui embrasse tous les sujets : de la taxation du kérosène au fioul lourd en passant par la progressivité de l'impôt ; une décentralisation redynamisée pour des politiques publiques mieux adaptées ; une transition énergétique et une politique industrielle à construire ensemble ; un nouveau contrat social qui permette à toutes et tous de vivre décemment et en sécurité, voilà autant de thématiques qui peuvent dessiner une société de progrès et de confiance autour d'un nouveau modèle de développement plus respectueux au plan social et environnemental.