"Je me demandais si je n’allais pas tout arracher": la vigneronne Claire Naudin "observait du gel quasiment tous les ans" sur une de ses parcelles particulièrement exposée, située dans les Hautes côtes de Beaune en Côte d’Or. "Mais je me suis dit: le gel, ce n’est pas inéluctable".
La propriétaire des 21 hectares du Domaine Naudin-Ferrand, à Magny-lès-Villers, appelle alors à l’aide l’Institut de la vigne et du vin (IVV, Université de Bourgogne à Dijon) qui pratique une série de relevés: à trois mètres de hauteur, à deux mètres, et au ras du sol. "On peut avoir -2° au sol et -1° plus haut", explique Catinca Gavrilescu, la climatologue qui travaille sur l’étude.
En cas de gelée dite "radiative", c’est-à-dire sans vent, l’air chaud, plus léger, monte, et l’air froid est "plaqué au sol". "Il y a donc plus de risque de gel au sol qu’en hauteur", explique-t-elle.
Or, en Bourgogne, la vigne est généralement taillée de manière à rester "à environ 50 centimètres du sol", ce qui favorise le risque de gel. De plus, la taille a lieu en plein hiver, déclenchant ainsi l’éclosion précoce de jeunes bourgeons, "formés à 90% d’eau" et donc plus sensibles au froid, rappelle la chercheuse.
La taille repoussée à fin avril
La solution semble dès lors s’imposer: il faut à la fois rehausser les bourgeons et empêcher, autant que faire se peut, qu’ils n’apparaissent avant les gelées. Pour ce faire, l’IVV propose à Mme Naudin d’expérimenter, dès 2019, la "taille tardive": au lieu de passer le coup de sécateur en plein hiver, on coupe la vigne fin avril, quand le plus gros des gelées est derrière les vignerons. "On retarde ainsi le départ en végétation. Et on laisse des branches très hautes", explique Benjamin Bois, chercheur qui pilote l’expérimentation.
Ainsi, avant la taille, "les bourgeons débourrés, sensibles au gel dès -2°, -3°, n’apparaissent qu’en haut et on garde, plus proches du sol, des bourgeons non débourrés, encore enfermés dans leurs écailles, qui résistent jusqu’à -6, -7° environ", ajoute-t-il.
Et, si par malheur, la gelée est "advective", c’est-à-dire présente même en hauteur, les bourgeons du haut seront certes perdus, mais ceux du bas auront résisté. "On sacrifie un peu de raisin mais, finalement, c’est toujours mieux que de perdre 50 à 60% de récolte avec le gel", souligne M. Bois. Et, contrairement aux "bougies et aux hélicoptères, il n’y a pas d’impact sur l’environnement. Le coût est très réduit et c’est sans nuisances pour les riverains", souligne le chercheur.
"La taille tardive, c’est la solution écologique", résume Mme Naudin.
Utile également contre les canicules
La méthode fait de plus d’une pierre deux coups: en freinant le développement de la vigne, elle retarde également sa maturation, un atout dans la lutte contre les canicules à répétition qui ne cessent d’avancer la date des vendanges.
La taille tardive ne représente "pas une nouveauté", reconnaît Catinca Gavrilescu. Déjà pratiquée en Nouvelle-Zélande, où "elle réduit l’impact du gel de 40 à 50%", selon M. Bois, elle se répand actuellement en France. Mais l’expérimentation de l’IVV veut connaître son efficacité en Bourgogne, de manière scientifique, et en "quantifier l’impact", explique le chercheur.
"La perte de rendement semble limitée entre 5 et 15%", évalue-t-il, attendant cependant les résultats à venir de l’expérimentation d’ici à plusieurs mois voire années. "Ça se gère très bien, surtout si on met en face les 30 à 60% de pertes dues au gel", se félicite Mme Naudin, d’autant que les calamités se multiplient avec le réchauffement climatique.
"On s’imagine qu’il va faire de plus en plus chaud et que les gelées vont disparaître, mais ce n’est pas du tout le cas", explique Catinca Gavrilescu. "Depuis les années 1960", explique-t-elle, on note que le développement des bourgeons se fait plus tôt mais, le gel, lui, est toujours là.