Point de départ du litige: l'action en justice d'un enseignant qui reproche au réseau social d'avoir désactivé son compte personnel, "sans préavis ni justificatif", le 27 février 2011.
La coupure intervient après la publication sur son mur du célèbre tableau de Courbet représentant un sexe féminin, une photo qui renvoyait à un lien permettant de visionner un reportage sur l'histoire de cette oeuvre. Il avait publié cette image quelques jours après la même mésaventure survenue à un artiste danois, Frode Steinicke. Facebook avait alors expliqué que ses règles interdisaient entre autres la nudité, mais avait fini par réactiver le compte du Danois, sans le tableau litigieux.
- Le 4 octobre 2011, l'internaute français assignait Facebook en justice pour réclamer la réactivation de son compte, au nom de la liberté d'expression sur les réseaux sociaux.
Pendant cinq ans, le géant du net a bataillé, de recours en recours, pour tenter d'échapper à la justice française, avec comme principal argument le fait qu'étant domiciliée en Californie, la société ne pouvait être jugée qu'aux Etats-Unis. En février 2016, la cour d'appel de Paris a mis fin à cette bataille procédurale, en confirmant la compétence de la justice française pour juger le réseau social.
La cour a confirmé l'ordonnance du tribunal de grande instance de Paris du 5 mars 2015 qui avait jugé "abusive" la clause exclusive de compétence, obligatoirement signée par tous les utilisateurs de Facebook. Cette clause désigne un tribunal de l'État de Californie comme étant le seul habilité à trancher les litiges
- "Patrimoine culturel" -
L'avocat de l'internaute, Stéphane Cottineau, s'était alors félicité d'un arrêt qui promettait de faire jurisprudence et d'"obliger Facebook et toutes les autres sociétés du e-commerce étrangères qui disposent de ce type de clause à modifier leur contrat". Me Cottineau se réjouit désormais que la justice puisse "enfin se pencher sur le fond du dossier". Car le tableau de Gustave Courbet, explique l'avocat, est "une oeuvre majeure" qui "fait partie du patrimoine culturel français".
Tout en notant que le règlement de Facebook interdit les publications "contenant de la nudité", il souligne qu'avec ce tableau, "il s'agit à l'évidence d'une représentation magnifiée, sublimée, par le talent de l'artiste".
- Peint en 1866, "L'Origine du monde" avait choqué la société bourgeoise de l'époque. La commande du tableau est attribuée à un diplomate turc installé à Paris qui, croulant sous les dettes, fut contraint de le vendre. L'oeuvre, peu montrée en public, change plusieurs fois de mains et son dernier propriétaire privé fut le psychanalyste français Jacques Lacan.
"Courbet n'a cessé de revisiter le nu féminin, parfois dans une veine franchement libertine. Mais avec L'Origine du monde, il s'autorise une audace et une franchise qui donnent au tableau son pouvoir de fascination", relève la note explicative qui accompagne le tableau sur le site du musée d'Orsay à Paris, où il est aujourd'hui exposé.
Et c'est "grâce à la grande virtuosité de Courbet, au raffinement d'une gamme colorée ambrée", selon le musée, que "L'Origine du monde échappe cependant au statut d'image pornographique".
(AFP)