Cette "mobilisation générale pour la justice", à l'appel de 17 organisations, s'annonce massivement suivie, tant l'expression d'un malaise semble avoir gagné tous les acteurs judiciaires.
"L’état ne met pas les moyens financiers et humains"
Julie Fergane, vice-procureure de la République et membre du syndicat de la magistrature exprimait son ras-le-bol ce matin au micro de France Bleu Besançon : "Au tribunal judiciaire de Besançon, nous avons 30 magistrats, 74 fonctionnaires. Si nous étions dans la moyenne, nous devrions être à 57 magistrats et 125 fonctionnaires".
"L’état ne met pas les moyens financiers et humains. On ne pas nous reprocher à nous, de ne pas faire des efforts", nous expliquait en juin dernier Alexandra Chaumet, magistrate, vice procureur et déléguée régionale Syndicat de la Magistrature (SM).
Chaima Ben M’Barek, greffière à Besançon nous précisait également : "Nous sommes parfois à plusieurs sur un photocopieur. Cela peut très vite devenir compliqué quand nous avons des dossiers complets à imprimer…. Sans compter sur les bugs des logiciels informatiques", nous expliquait en juin dernier, Chaima Ben M’Barek, greffière à Besançon.
Des "renvois massifs" d'audiences
Les deux principaux syndicats de magistrats ont déposé des préavis de grève - "une première" pour l'USM, majoritaire - et appellent avec les représentants des greffiers et des avocats à des "renvois massifs" des audiences. Des rassemblements sont prévus à la mi-journée devant la plupart des cours d'appel et devant certains tribunaux.
A Paris, l'intersyndicale a choisi de converger vers Bercy et demande à être reçue par le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire pour obtenir un budget "bien plus ambitieux pour la justice".
Le procès des attentats du 13 novembre 2015, qui se tient à la cour d'appel de Paris, "commencera exceptionnellement à 14H00 pour permettre à tout le monde de participer à la mobilisation", a indiqué mardi le président de la cour d'assises spéciale, Jean-Louis Périès.
Cette mobilisation sans précédent intervient trois semaines après une tribune qui proclamait : "Nous ne voulons plus d'une justice qui n'écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre et comptabilise tout". Ecrit par neuf jeunes magistrats après le suicide fin août d'une de leurs collègues, Charlotte, ce cri d'alarme dénonce souffrance au travail et perte de sens.
"Point de rupture"
Le texte a eu un succès aussi fulgurant qu'inédit: en trois semaines, la tribune avait été signée par 7.550 professionnels, dont 5.476 magistrats (sur 9.000) et 1.583 fonctionnaires de greffe.
Un grand nombre de juridictions s'y sont associés, en votant à l'issue de leurs assemblées générales obligatoires de décembre des motions réclamant des moyens supplémentaires, certaines annonçant par ailleurs l'arrêt des audiences au-delà de 21h.
La contestation a même gagné la Cour de cassation: les magistrats de la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire ont, dans une rare prise de position, dénoncé lundi "une justice exsangue, qui n'est plus en mesure d'exercer pleinement sa mission dans l'intérêt des justiciables".
Le constat dressé dans la tribune est également partagé par la hiérarchie judiciaire: dans un communiqué commun, les présidents des quatre "conférences", qui représentent les chefs des cours d'appel (premiers présidents et procureurs généraux) et des tribunaux judiciaires (présidents et procureurs), alertent sur une "situation devenue intenable".
"Cela fait des années qu'on dénonce la souffrance au travail, la justice rendue en mode dégradé. Nous sommes arrivés à un point de rupture", fait valoir Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l'USM. "On sent une unanimité assez inédite. Tout un corps qui partage le même constat, cela fait extrêmement longtemps qu'on n'a pas vu ça", renchérit Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche).
Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, qui avait heurté de nombreux magistrats et greffiers en affirmant que la justice avait été "réparée" grâce à un budget "historique", a tenté lundi de calmer la fronde, venue percuter les Etats généraux de la justice lancés mi-octobre par le gouvernement.
Lors d'une conférence de presse à la Chancellerie, le ministre a défendu son bilan, le mettant en perspective, chiffres à l'appui, avec les "abandons des décennies passées", et a promis de maintenir "les efforts".
Il a notamment annoncé l'augmentation du nombre de places au concours de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) pour permettre l'arrivée de 380 auditeurs de justice dans les juridictions dès 2023, ainsi que la pérennisation de quelque 1.400 postes créés dans le cadre de la justice de proximité.
Dans un message adressé mardi à l'ensemble des magistrats et des agents judiciaires, et consulté par l'AFP, le ministre a assuré avoir "entendu le mal-être" et les "attentes légitimes" exprimées, assurant qu'il était "déterminé à améliorer durablement (les) conditions de travail et le fonctionnement de la justice".
(Avec AFP)