"Je n'ai jamais vu ça. C'est triste pour l'écosystème. Et certains arrivent à dire qu'il n'y a pas de réchauffement climatique...", soupire Marielle, venue du Jura voisin visiter ses parents à Montbenoît. Au pied du village, le défilé d'Entre-Roches offre habituellement le spectacle grandiose de gorges verdoyantes. Mais il n'est plus que désolation.
La rivière a complètement disparu et la vallée pris des airs de canyon. Des poissons morts gisent sur les pierres et le sol craquelé.
Une vision impressionnante mais pas sans précédent
"Je suis étonnée parce que les gens s'affolent mais la sécheresse n'a rien d'extraordinaire. En 2003, c'était pire", relève Dominique Mollier, maire de Villers-le-Lac.
D'ordinaire, des bateaux panoramiques partent du centre-ville pour faire visiter le Saut du Doubs aux touristes, une cascade de 27 mètres de haut. Aujourd'hui elle aussi est à sec. L'embarcadère a été déplacé vers les eaux plus profondes du lac Brenet.
Sur la place du village, à Ville-du-Pont, 300 âmes, le maire Jacques de Grimaldi discute avec les anciens. "Ce n'est pas exceptionnel", assure-t-il aussi, "mais d'année en année, on s'aperçoit que les échéances se rapprochent. Ça arrive plus régulièrement".
"Le 24 octobre 1978, je revenais de Morteau et au défilé d'Entre-Roches, c'était possible de traverser sans risque de se mouiller", raconte Michel Chabot, 83 ans, qui énumère les années d'exceptionnelle sécheresse dont il se souvient : 1947, 1949, 1952, 1976, 1983 et 2003.
Alerte renforcée
La sécheresse n'est qu'une des explications du phénomène. "On a eu des crues exceptionnelles début et fin janvier. D'après les spécialistes, ça a balayé les galets de la rivière et ça a découvert des failles qui existaient déjà", explique le maire. Des margelles ont été installées pour permettre à l'eau, quand elle reviendra, de poursuivre son chemin sans s'engouffrer dans ces failles qui alimentent la Loue.
Jacques de Grimaldi s'inquiète pour l'approvisionnement en eau potable des habitants du Haut-Doubs, qui connaît une croissance démographique de 5 % par an, profitant de la proximité avec la Suisse.
Sensibiliser à une meilleure utilisation de l'eau
"Six villages sont alimentés par des camions citernes", explique Philippe Alpy, le président du syndicat mixte des milieux aquatiques du Haut-Doubs. Le secteur de Pontarlier dépend surtout de la réserve du lac de Saint-Point mais les lâchers d'eau pour réalimenter le Doubs n'ont pas eu d'effets.
"On est à la merci de l'érosion sur notre sol karstique (paysage tourmenté, présentant de nombreuses cavités, NDLR). Plutôt que de mettre la tête dans le sable, il faudrait peut-être sensibiliser les populations à une meilleure utilisation de l'eau", souligne-t-il.
Un début de bétonnage de faille, "comme un prélude à des mesures inadaptées ?" s'interroge SOS Loue et Rivières Comtoises
Le collectif SOS Loue et Rivières Comtoises admet que ces pertes du Doubs sont dues à un phénomène karstique naturel irrémédiable ; mais il estime qu'il accentué par des facteurs d’origine humaine notamment les étiages et l’érosion de la rivière. "On ne connaît rien ou presque à ces « nouvelles » failles alors même que de vastes cavités souterraines aquatiques existent. L’eau, initialement à la surface, y circule plus ou moins rapidement pour ressortir rafraîchie dans le Doubs ou ailleurs par des sources potentiellement utiles pour les hommes et l’environnement. Rappelons que les niveaux d’eau à Morteau n’ont rien d’étonnant pour la période".
Le collectif s'inquiète aujourd'hui des dérives après les premiers travaux menés dans le lit de la rivière pour colmater les failles. "En plein lit de la rivière un des regards en béton posé récemment devait court-circuiter une faille, mais seulement à l’étiage. La hauteur du regard (90 cm) laisse déjà supposer une alimentation de la faille plutôt en cas de bon coup d’eau. Et ce samedi, une fois le béton sèché, on constate que tout le fond est bétonné et colmaté contrairement au projet initial, rendant inopérant l’alimentation en eau de cette faille, quelque soit le débit du Doubs. (…) Cela dénote un certain état d’esprit, l’absence de contrôle et les dérives possibles de travaux plus conséquents".
Si SOS LRC déclare ne s'opposer à rien dans l’immédiat, il s’inquiète des incertitudes potentielles liées à "des aménagements précipités et demande qu’un bilan précis des circulations souterraines soit fait pour savoir où et à quelle vitesse ressort cette eau. "Car schématiquement une rivière souterraine « rapide » ressortant en aval dans le Doubs n’implique pas forcément les mêmes réponses que l’alimentation de grandes « cavités vauclusiennes » de dynamique lente par exemple".
Info +
Le 12 juillet, la préfecture du Doubs a pris un arrêté de restriction des usages de l'eau. Le département a été placé en alerte renforcée. Et une étude sera lancée à l'automne pour envisager des travaux d'aménagement du lit du Doubs. Ses conclusions sont attendues dans deux ans.