Didier Gendraud, en retrait de la politique, mais attentif…

Vous en avez entendu parler à de multiples reprises notamment lorsqu’il était adjoint au maire de Besançon, vous avez même peut-être voter pour son mouvement lors des dernières élections municipales à Besançon… Nous avons rencontré Didier Gendraud alors qu’il s’est écarté discrètement du monde politique, pour connaître sa vision des choses après la fusion de la Bourgogne et de la Franche-Comté, après le décès de Michel Rocard et suite à la création du mouvement d’Emmanuel Macron…

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Albert Ziri : Didier Gendraud, vous avez mené une campagne électorale lors des dernières municipales avec Frank Monneur. Vous étiez alors soutenus par un mouvement que vous aviez fédéré. Le résultat au soir du premier tour en a surpris plus d'un... Depuis, Frank Monneur s'est rapproché du MRC, en faisant entendre là aussi sa personnalité. Et vous, alors ? Nous ne vous avons pas entendu vous exprimer ni pour les Régionales, ni à propos de tout ce qui agite la société localement et nationalement. Pourtant ce ne sont pas les sujets qui manquent ? 

Didier Gendraud : "Pour répondre très directement à votre question: oui, à ce jour, je suis en retrait de l'action politique. J'en reste néanmoins un observateur attentif. Aux dernières municipales, nous avons vécu une très belle aventure avec Générations Citoyennes. Une aventure humaine, avec des colistiers très engagés et très enthousiastes, une aventure collaborative, avec des projets conçus ensemble, en toute liberté, en se fichant totalement du politiquement correct, une aventure "multipolitique", rassemblant des gens de droite comme de gauche ayant envie de faire évoluer la ville. Le projet était sincère et audacieux. Les électeurs l'ont senti et l'ont exprimé dans les urnes ! Ce rêve de transcendance des partis -au sens de placer un projet au-dessus du clivage droite gauche- s'est heurté aux limites de la démarche, et au soir du premier tour, nous n'avons rejoint aucune des deux listes en lice pour le second tour. Le noyau de Générations Citoyennes s'est réuni à plusieurs reprises, avec cette question "quel avenir pour nous?". "

AZ : Avez-vous, au sein de Génération Citoyennes, débattu des Régionales ?

Didier Gendraud : "Nous étions contre la fusion des régions pour plusieurs raisons. D'abord, le peuple n'avait pas donné mandat au gouvernement pour cela, désolé de croire encore en la démocratie ! Au plan budgétaire il était certain que la fusion coûterait cher, on le vérifie aujourd'hui, alors qu'elle nous a été vendue -si l'on peut dire- sous couvert d'économies. Enfin au plan local, à la fois par la position géographique de Dijon et par la dimension nationale de ses édiles il était évident que la discrète Franche-Comté y perdrait des plumes. Nous craignions pour Besançon et nous avions malheureusement raison."

AZ : Et justement quel constat et quel bilan tirez-vous personnellement de ce moment en politique ?

Didier Gendraud : "En interne, Générations Citoyennes, revenant sur son incapacité à porter ses idées au second tour des municipales, s'est rendu à la décevante évidence que pour peser dans le débat et pouvoir appliquer son projet, il faut jouer avec les mêmes règles que les autres, c'est à dire se déclarer de droite ou de gauche. Dans le contexte des attentats contre Charlie Hebdo et de l'Hyper Casher, il n'était pas incohérent de se tourner vers un parti défendant les valeurs de la Nation. Les contacts locaux nous ont orientés vers le MRC. C'est peu de temps après que l'aventure s'arrête pour moi. En effet, le MRC a choisi de faire équipe avec la gauche de la gauche pour les élections régionales et ce n'est pas mon chemin. Je me suis donc mis en retrait, discrètement, afin de ne pas nuire à celles et ceux qui souhaitaient s’investir." 

AZ : A ce stade, ressentez-vous un sentiment d'échec ? Et quid de vos relations avec Frank Monneur ?

Didier Gendraud : "Nous avons, Frank et moi, entourés de toute l’équipe de Générations Citoyennes, vécu une très belle aventure de politique libre, créatrice, joyeuse même. Ce sont des moments qui restent. Mais je crois que je ne suis pas fait pour adhérer à un parti, finalement ! J’ai besoin d’être libre de ma parole et de mes actions. Ce n’est peut-être pas pour rien que je reste proche de Dany Cohn Bendit. Je partage notamment sa vision de l’Europe. Au plan local j'observe les postures des uns et des autres. Je comprends les élus qui cherchent à rattraper un peu de ce qui part naturellement à Dijon, ils sont dans leur rôle. Je n'ai de leçons à donner à personne et encore moins à celles et ceux qui ont la légitimité des urnes, ce n'est donc pas ainsi qu'il faut prendre ce que je vais dire. Mais je pense que courir après ce qu'on ne rattrape pas est aussi efficace que de panser une jambe de bois. C'est trop tard, il fallait y penser avant. Pour ma part, je suis pour une capitale de grande région forte, et non pour une dissémination des pouvoirs par-ci par-là, qui augmente les coûts, les déplacements des uns et des autres, nuit à l'efficacité et à la lisibilité de notre Région qui, même fusionnée, reste une petite région.  Je pense que Besançon, puisque mon engagement politique fut dans cette ville, a de très beaux atouts et mérite d'en développer d'autres sans être à la remorque des Bourguignons. Je ne suis pas franc-comtois d'origine, est-ce pour cela que je perçois mieux les richesses et le potentiel de ma ville d'adoption? Nous sommes voisins des suisses : c'est cet axe qu'il faut développer: économiquement, scientifiquement,  humainement et aussi en terme de mobilité. Il nous faut des trains réguliers pour les centres de décisions helvétiques, des axes routiers directs et rapides pour faciliter les échanges.  Le contexte de Brexit -et la redéfinition indispensable de l'Europe qui doit suivre- nous place géographiquement au centre de cette nouvelle Europe. Alors soyons prêts à faire fructifier cette opportunité ! La richesse touristique de la ville est un facteur de développement économique insuffisamment exploité. Pendant la campagne des municipales, j'avais émis l'idée de renouer avec Besançon les Bains, certainement aussi car je viens d'une ville d'eau; alors oui c'est compliqué et long, oui il faut des études, oui il faut réaliser des partenariats public-privé, car ça coûte cher et le thermalisme est un métier, mais voilà une source -pardon pour le jeu de mots- de visiteurs-curistes-consommateurs intarissable pour notre ville, voilà un bain de nouveaux emplois non délocalisables à faire couler. Le thermalisme est aujourd'hui médical, mais aussi ludique. Imaginez des bains avec vue sur la Citadelle aux Près de Vaux par exemple. Je rêve? Oui et alors?! On me dit utopiste, je le revendique." 

AZ : Alors politiquement en retrait, en attente, en rupture ?

Didier Gendraud : "La situation est globalement anxiogène et donc, comme citoyen, je suis inquiet : je le suis pour cette ville, je le suis beaucoup plus pour la France, et pour l'Europe. Mais être inquiet n'est pas une proposition. Il faut inventer autre chose, une autre façon de faire de la politique et à tous les niveaux. Il faut que les gens de gauche et de droite se parlent et construisent ensemble, c'est l'enjeu qui me passionne aujourd'hui et c'est peut-être en ça qu'on peut me considérer en rupture. J'ai par exemple suivi de près l'initiative suisse pour le revenu de base inconditionnel, c'est-à-dire une somme versée à tous sans travailler et qui permet de vivre de la naissance à la mort." 

AZ : Mais les Suisses ont récemment rejeté cette proposition ?

Didier Gendraud : "C'est un modèle complètement nouveau de société, une remise en cause de la valeur "travail", il n'y a pas aujourd'hui d’emplois pour tout le monde, demain les métiers sans qualification n'existeront probablement plus, alors on fait comment ?" 

AZ : A aucun moment de notre entretien vous n'évoquez les Verts ou encore votre expérience d'adjoint au Maire de Besançon ? 

Didier Gendraud : "J’ai pris beaucoup de recul par rapport à tout ça, sans rien renier, c’est mon histoire. J’ai été 10 ans chez les Verts à un moment où aucun autre parti ne parlait de sauvegarde de la planète, j’en suis fier. On voulait faire de la politique autrement, j’adorais l’idée. Quant à mon passage comme adjoint au Maire, quand on me demande pourquoi je n’ai pas fait plus, je réponds : « qu’est-ce que vous ne comprenez pas dans le mot « adjoint » ? ». Aujourd’hui je souhaite travailler à l’amélioration de la société, mais je suis persuadé  que ça passe par l’action, pas par le dogme politique."

AZ : Quel regard portez-vous sur Michel Rocard qui vient de disparaître ?

Didier Gendraud : "Je pense que le socialisme et la France n’en seraient pas là aujourd’hui s’il avait pu "Présider" le pays. Michel Rocard était pour moi un sage mais aussi un bel exemple « d’assassiné » politique. Quand Nicolas Hulot renonce à la Présidentielle, c’est parce qu’il sait que les coups l’attendent, il en a déjà fait l’expérience."

AZ : Que pensez-vous d'Emmanuel Macron ?

Didier Gendraud : "Emmanuel Macron se départi sans complexe du politiquement correct -et en ça il me plaît- mais j’aimerais comprendre vers quoi ou vers qui il marche…" 

AZ : Là encore vous tenez à garder une distance propice à la réflexion ? Ne craignez-vous pas que cette "distance" vous tienne complètement à l'écart des débats publics

Didier Gendraud : "Vous croyez ? Théodore Monod, "passeur" de génie, traversant seul le(s) désert(s) disait "l'utopie est simplement ce qui n'a pas été essayé"... Pour moi, c'est limpide et je ne suis pas certain d'être seul dans le désert…"

Entretien réalisé le 5  Juillet 2016.

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