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Le livre : Des ailes de grenouille
Tout au fond d’une mare ombragée vivait une grenouille.
Elle n’était pas plus verte que les voisines, elle ne coassait ni plus fort ni de manière plus harmonieuse. Elle n’avait pour ainsi dire rien qui la distinguait des autres batraciennes.
Rien, à part peut-être un rêve.
Notre grenouille s’appelait Coasette, et elle rêvait de voler comme un oiseau. Elle voulait s’élever au-dessus de la végétation dense du marécage, au-dessus des arbres les plus hauts. Au-dessus même des nuages. Elle voulait monter tout là-haut et voir le monde comme jamais aucune grenouille ne l’avait vu.
Les autres grenouilles la regardaient avec un air amusé et, il faut le dire, un peu de pitié. Une grenouille qui vole, et puis quoi encore ! Les choses devaient rester à leur place et la place d’une grenouille n’était pas dans le ciel.
Mais Coasette n’en avait rien à faire de l’avis de ces rabat-joie ! Elle allait voler, elle allait leur montrer qu’ils se mettaient la patte dans l’œil.
Elle avait commencé à analyser la situation : les oiseaux qui volaient avaient des plumes. Elle avait donc commencé une collecte de toutes les plumes qui tombaient dans leur marécage. Petit à petit, elle en avait récolté une belle collection, de toutes les couleurs et de toutes les tailles.
Les oiseaux avaient aussi des ailes. C’était comme ses pattes à elle, mais plus longues et avec des plumes dessus. Facile ! Elle avait bricolé ses ailes à elle avec des tiges de roseaux. Elle les recouvrit de plumes et on n’y vit plus que du feu. Qu’elles étaient belles, ses ailes de grenouille !
Elle avait bien observé les oisillons : ils n’arrivaient pas à voler tout de suite. Il fallait qu’ils essayent, encore et encore, jusqu’à y arriver. Elle avait ainsi commencé l’entraînement. Elle était montée sur un gros rocher, avait enfilé ses deux ailes, avait sauté... et s’était écrasée dans la vase.
Pas grave ! Coasette recommença encore et encore. Elle y passa des jours et des jours. Elle s’écrasa, avala de la vase, recracha de la vase, coassa de mécontentement. Mais elle n’abandonna pas.
Le printemps fut remplacé par l’été, l’été tira sa révérence à l’automne. Et Coasette vit à travers le feuillage qui s’était fait plus rare les oiseaux migrateurs prendre la direction du sud pour passer l’hiver. Ils étaient si haut, là, dans le ciel. Ils étaient si haut qu’ils ne pouvaient pas voir le marécage et une pauvre grenouille qui aurait tout donné pour les rejoindre. Ils étaient si haut, si haut...
Elle enfila ses ailes de grenouille et se remit à l’exercice.
Par moments, elle avait l’impression de voler. Elle avait l’impression qu’elle ne retombait pas directement. Elle ne savait pas si c’était vrai ou si c’était juste un effet de son imagination.
Les autres grenouilles avaient appris à ne plus lui prêter attention. Mais un jour, elles coassèrent de surprise. Parce que Coasette ne retomba pas.
Un battement d’ailes de grenouille, elle s’éleva au-dessus de la vase.
Un autre battement, elle survola le tronc tombé.
Encore un battement, elle s’éleva au-dessus des arbres sans feuilles.
Un battement, un battement, un battement, elle sentit l’air frais du dessus de la cime des arbres, si différent de celui du marécage.
Elle baissa les yeux sur le choeur de coassements qui s’était soudain élevé. Les autres grenouilles étaient si petites, presque invisibles dans la végétation ! Et elle, elle était loin au-dessus.
Elle était dans le ciel. Là, avec ses ailes de grenouille.
Elle était dans le ciel. Avec les oiseaux migrateurs.
Elle était dans le ciel...
Elle coassa de fierté. Et prit la direction du sud.