Le rictus pervers du Joker dans Batman, le regard fou du clown psychopathe en couverture du roman d'épouvante "Ca", de Stephen King, ou les cheveux rouges en pétard du trouble "Tahiti Bob", dans les Simpsons: ces figures constituent le terreau d'une phobie bien réelle, la "coulrophobie", la peur des clowns, dont serait victime l'acteur Johnny Depp parmi d'autres.
"Depuis 30 ans, le clown malveillant est un motif exploité par la culture populaire, avec des films, des livres, qui ont peu à peu construit un thème pas forcément très important mais que tout le monde connaît", rappelle l'anthropologue Véronique Campion-Vincent, spécialiste de la rumeur. "Les légendes urbaines se basent sur l'idée qu'on est dans un monde où les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être. C'est le cas avec cet être apparemment amusant, qui fait rire les enfants, mais est en fait très méchant. Le clown pourrait même être vu comme une victime, quelqu'un de maladroit, qui se venge", ajoute l'auteur de "100% rumeurs" (Payot et Rivages).
Un clown tueur en série
John Wayne Gacy, l'un des tueurs en série les plus célèbres des Etats-Unis, a également beaucoup fait pour noircir le maquillage du saltimbanque: arrêté en 1978 et exécuté en 1994, il distrayait les enfants malades, déguisé en clown, mais a aussi tué 33 jeunes gens dans les années 70.
A l'approche d'Halloween, période où s'amuse à se faire peur en Amérique du Nord et désormais aussi en Europe à la veille de la Toussaint, c'est avec cette crainte diffuse que semblent jouer les "clowns agressifs" observés ces dernières semaines dans plusieurs régions de France et notamment dans la région de Besançon le week-end dernier.
Phénomène "assez limité" et "très ponctuel"
Le phénomène est apparu dans le Nord à la mi-octobre avec la multiplication de signalements auprès de la police et la condamnation d'un jeune homme de 19 ans à six mois de prison avec sursis pour avoir menacé des passants, déguisé en clown. Quelques jours plus tard, après l'apparition de "chasseurs" de clowns, la police a dû diffuser un message pour tenter d'enrayer la "rumeur".
L'un des déclencheurs semblent être la diffusion de vidéos en caméra cachée d'un clown tueur, armé de masse ou de tronçonneuses, réalisées par une société de production italienne.
"La police a perçu assez tôt ce phénomène né sur les réseaux sociaux", indiquait mardi une source policière. "Certains délinquants en ont profité ce week-end. Mais même si ce n'est pas négligeable, c'est tout de même assez limité. C'est déjà en train de baisser. Cela fait partie des phénomènes de mode très ponctuels qui vivent aussi longtemps que les médias en parlent".
"Une légende urbaine est en train de naitre..."
S'il est toujours délicat, dans ce genre de contexte irrationnel, de connaître les motivations précises des "faux clowns" et d'identifier les canulars, une "légende urbaine est bien en train de se créer sous nos yeux", selon Aurore Van de Winkel, chercheuse belge en "légendes contemporaines". Outre les vidéos provenant d'Italie, elle estime que le contexte pré-Halloween, période propice aux légendes urbaines, explique aussi la multiplication de ces "vrais" clowns "agressifs", jusqu'ici cantonnés aux livres, aux films, à l'internet voire à certains groupes de rock.
Le risque, pointé Véronique Campion-Vincent, est que le "jeu" continue de "déraper" en cas de confusion entre réel et imaginaire. Et l'universitaire de citer l'exemple des deux jeunes filles de 12 ans qui, en juin aux Etats-Unis, ont poignardé l'une de leurs camarades en signe de dévouement à un personnage totalement virtuel, "Slenderman".
(avec AFP)