Pour contribuer au redressement des finances publiques, fortement dégradées et menacées de dériver, le Premier ministre Michel Barnier avait estimé nécessaire dimanche de procéder à des "prélèvements ciblés sur les personnes fortunées, ou certaines grosses entreprises".
Cette intention affichée d’alourdir la fiscalité, en sus de coupes dans les dépenses, marque un revirement par rapport à la politique menée jusqu’ici par Emmanuel Macron et ses précédents gouvernements, non sans irriter certains macronistes.
Baisse de l’impôt sur les sociétés, suppression de la taxe d’habitation pour les résidences principales, transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en un impôt immobilier, mise en place d’un prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital ( "flat tax"), baisse des impôts de production... Le président avait multiplié les initiatives pour favoriser l’investissement en France.
Selon l’Institut national statistique (Insee), le taux de prélèvements obligatoires a effectivement baissé en France ces dernières années, puisqu’il est passé de 45,3% du PIB en 2017, année de l’élection d’Emmanuel Macron, à 43,2% en 2023.
Dialogue social
Le statu quo est toutefois jugé intenable face à des comptes publics qui s’enfoncent dans le rouge et valent à Paris d’être visé par une procédure de déficit excessif par la Commission européenne.
"A part une ou deux années de crise exceptionnelle ces 50 dernières années, on a un des pires déficits de notre histoire", a prévenu mardi le nouveau ministre de l’Economie, Antoine Armand, sur France Inter.
Dans ce contexte, malgré la mise en garde de l’ex-grand argentier Bruno Le Maire contre « cette solution de facilité », les réticences voire les oppositions aux hausses d’impôts ciblées s’affaiblissent, jusqu’à la tête du Medef.
Le patron de la première organisation patronale française, Patrick Martin, s’est dit "prêt à discuter" d’une hausse d’impôts des entreprises, à condition que l’Etat fasse "des efforts bien supérieurs à ce qu’il (leur) demande" en réduisant les dépenses et que cela ne pénalise pas l’investissement et l’emploi.
Il s’entretiendra mardi après-midi avec Michel Barnier, après la CFDT, alors que le ministre Antoine Armand s’est dit désireux de rouvrir le dialogue social avec les partenaires sociaux, qu’il juge "abîmé ".
"Politique impopulaire"
Le gouvernement doit présenter, possiblement le 9 octobre, avec un retard inédit, un projet de budget pour 2025 avec l’objectif d’amorcer le redressement des comptes publics. Le Premier ministre prévoit auparavant de prononcer le 1er octobre sa déclaration de politique générale.
"Il y a sept ans qu’on souhaite ne pas augmenter les prélèvements. Cela peut avoir du sens, mais il faut gager cela sur un effort pour faire baisser les dépenses (…) sinon vous explosez le déficit", prévient auprès de l’AFP Thomas Philippon, économiste et professeur à l’Université de New York, co-auteur d’une note du Conseil d’analyse économique sur les finances publiques.
Pour autant, il est hors de question pour le gouvernement d’augmenter les impôts de tout le monde. A l’instar du chef du gouvernement, Antoine Armand a répété que les classes moyennes ne seraient pas concernées.
Interrogé sur un possible gel des barèmes de l’impôt sur le revenu, une des pistes sur la table selon la presse, il a rappelé que "nous n’allons pas alourdir la fiscalité de celles et ceux qui travaillent, qui appartiennent à la classe moyenne au sens large", d’autant plus que la France "est quasiment le pays au monde qui taxe le plus".
Parmi les autres pistes explorées figurent l’augmentation du taux sur la "flat tax", une surtaxe temporaire de l’impôt sur les sociétés pour les plus grandes, un coup de rabot sur l’allègement des charges des entreprises ou le crédit d’impôt recherche (CIR),...
Si le gouvernement applique un plan "agressif mais réaliste", en rétablissant l’ISF et rabotant certaines niches fiscales, cela rapporterait de 10 à 15 milliards d’euros annuels, selon le centre de réflexion Terra Nova.
"C’est un gouvernement qui est condamné à une politique budgétaire et fiscale impopulaire", estime Sylvain Bersinger, le chef économiste d’Asterès.
(Source AFP)