Le projet de loi antiterroriste, doit prendre le relais de l’état d’urgence au 1er novembre. Le texte a provoqué de nombreux remous. "Les discussions et votes de jeudi à l’Assemblée nationale semblent déjà confirmer nos inquiétudes. Les députés ont notamment voté l’article 10 visant à élargir les périmètres dans lesquels la police peut procéder à des contrôles d’identité sans aval de la justice" explique l'ancienne députée du Doubs qui a signé le 28 septembre dernier une tribune dans Libération afin d’exprimer son opposition à la loi de sécurité intérieure.
Tribune de Barbara Romagnan, Benoit Hamon et Noël Mamère
- "L’intégration de l’état d’urgence dans le droit commun, voulue par le chef de l’État, est le dernier chapitre d’une politique sécuritaire entamée par Sarkozy et poursuivie par Valls.
"Le 16 novembre 2015, quelques jours seulement après les sanglants attentats du 13 novembre, Robert Badinter, l’ancien garde des Sceaux, affirmait ceci : «L’État de droit, ce n’est pas l’état de faiblesse.» Et il s’empressait d’ajouter : «Mais la première exigence, c’est de maintenir les valeurs fondamentales de notre démocratie, et s’il ne faut hésiter à prendre des mesures nouvelles ce doit être toujours à la condition qu’elles ne méconnaissent jamais ce qui est au cœur de notre société, c’est-à-dire, les droits de l’homme.»
Face à une France meurtrie, Robert Badinter rappelait ce jour-là l’essentiel. Si, dans tout système démocratique, la sécurité des citoyens est une exigence centrale, elle ne doit jamais se poursuivre au prix du reniement de nos valeurs fondamentales. Cet équilibre, fragile et ténu, entre le devoir de protéger et la nécessité de garantir à tous la permanence de l’état de droit et des libertés fondamentales, il revient à tout citoyen de le défendre. Aujourd’hui, cet équilibre précieux est en danger. Alors que le président, Emmanuel Macron, avait promis de faire sortir la France de l’état d’urgence, il demande aux députés le 3 octobre de voter la loi sécurité intérieure qui aura pour conséquence directe d’intégrer les mesures dérogatoires de l’état d’urgence au droit commun.
Ce qui devait demeurer exceptionnel deviendra demain routinier. Ce faisant, le gouvernement ne fait pas sortir la France de l’état d’urgence comme promis, il accepte de la voir s’y réfugier, s’y barricader, et cela, au mépris du respect de nos droits fondamentaux.
La banalisation de l’état d’urgence par son intégration dans le droit commun est le dernier chapitre d’une politique sécuritaire entamée par Nicolas Sarkozy et poursuivie par Manuel Valls. Très concrètement, par ce texte, le ministre de l’Intérieur pourra continuer de décider des mesures de surveillance contre toute personne à l’égard de laquelle il existerait des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre public et l’empêcher de se déplacer au-delà d’un lieu géographique déterminé.
En clair, le texte entérine dans le droit commun le fait qu’il est possible à l’exécutif et, sans contrôle d’un juge, de surveiller quelqu’un et de le punir sur la base de simples présomptions. Il ne s’agit plus de condamner un individu sur le fondement d’un acte criminel qui engage naturellement sa responsabilité personnelle, mais bien de le sanctionner en raison d’une dangerosité supposée, critère flou, et surtout hautement subjectif. Comment ne pas y voir une rupture absolue avec le principe fondamental de la présomption d’innocence ? L’on passe ainsi, insidieusement, d’une société de la responsabilité à une société de la suspicion où une partie de la population se retrouve stigmatisée, regardée avec méfiance et présumée coupable.
Ce n’est pas seulement une dérive sécuritaire, c’est aussi un poison qu’on instille ainsi et qui vient porter un coup violent à notre cohésion nationale, déjà si fragile. À tous ceux qui ne se sentiraient pas concernés parce qu’ils n’auraient rien à se reprocher, nous leur disons : il n’est pas l’heure de tourner la tête. Lorsqu’on commence à vouloir catégoriser les Français, lorsqu’on commence à délaisser certains de nos droits les plus essentiels, c’est toute la société qui en est la victime. Ce n’est jamais en rognant sur la démocratie que nous pourrons collectivement la défendre.
Le projet fondamentaliste et terroriste vise à l’effondrement de notre société de droits dont il menace les assises les plus profondes. Et nous devrions répondre à ce projet en acceptant nous-mêmes de remettre en cause ces valeurs ? Nous devrions accepter de les combattre en contournant ce qui fait depuis des décennies, notre force ? Nous devrions, pour nous protéger, accepter que l’arbitraire s’abatte sur une partie de nos compatriotes ? Ce serait là une erreur terrible qu’il nous revient de ne pas commettre.
À ceux qui nous taxeraient de laxisme, nous rappelons que cette loi s’ajoute à neuf autres textes adoptés dans les cinq années précédentes. Il serait peut-être temps de comprendre que ce n’est pas la multiplication des textes sécuritaires qui garantira la sécurité des Français. Ces dernières années nous l’ont prouvé douloureusement. La préservation de l’État de droit est un combat de tout temps et de tous les jours.
Dans cette époque troublée où les tendances autoritaires se multiplient, où l’extrême droite ne cesse de progresser dans les esprits et dans les urnes, la France se doit d’être exemplaire sur ses principes. C’est lorsque le doute s’instille qu’il faut avoir la force de ne céder à rien et de protéger notre idéal démocratique."