La présentation en conseil des ministres de ce texte, en préparation depuis plus d'un an, a été repoussée à plusieurs reprises. Devant l'explosion de colère du monde agricole cet hiver, le gouvernement a augmenté son volume pour satisfaire une partie des revendications du syndicat majoritaire FNSEA.
Dans l'exposé des motifs, le gouvernement explique adresser "un message de confiance" au monde agricole, "dont l'activité sera libérée de normes et de contraintes devenues superflues, contradictoires ou excessivement lourdes".
Pour les ONG et l'opposition de gauche, il omet les enjeux de rémunération et manque d'ambition pour embarquer l'agriculture dans sa nécessaire transition face au dérèglement climatique : limiter son impact sur la nature, émettre moins de carbone, être plus économe en eau, moins consommatrice d'engrais et pesticides...
Un texte qui garde "une trajectoire d'industrialisation et de négation de l'urgence environnementale"
"Si le terme de transition agroécologique est récurrent dans le texte, les mesures concrètes pour la mettre en œuvre sont presque inexistantes et certaines d'entre elles entraînent même un retour en arrière", estime dans un communiqué Thomas Uthayakumar, directeur du plaidoyer de la Fondation pour la nature et l'homme (FNH).
L'association Agir pour l'environnement dénonce un texte qui "frappe par son absence totale d'ambition en matière d'installations ou de transition agro-écologique. Pire, il consacre une trajectoire d'industrialisation et de négation de l'urgence environnementale, cédant à toutes les exigences cyniques des syndicats productivistes". "L'agrobusiness en a rêvé, la FNSEA l'a demandé, le gouvernement l'a fait", tacle encore Greenpeace.
Le syndicat minoritaire Confédération paysanne, classé à gauche, dénonce une "fuite en avant" du gouvernement, qui "utilise les vieilles recettes du passé (...) au profit de quelques-uns et au détriment du plus grand nombre".
Pour l'organisation, "le volet ajouté au lendemain de la colère paysanne multiplie les régressions : affaiblissement du droit pénal de l'environnement, accélération de la destruction des haies, facilitation des projets de mégabassines [réserves d'eau pour l'irrigation], d'élevages industriels et de fermes usines aquacoles".
Cette loi "entérine de graves régressions environnementales, plutôt que d'offrir aux agriculteurs les moyens de faire la bifurcation agro-écologique", déplore la députée LFI Aurélie Trouvé, dans une vidéo publiée sur X.
"Intérêt général majeur"
Le texte s'appelle désormais "projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture". Le gouvernement, qui ne fixe pas d'objectif chiffré de nouvelles installations, espère enrayer la chute continue de la population agricole. La France a perdu 100.000 fermes en dix ans.
Le premier article de la loi, ainsi que l'exigeait la FNSEA, consacre l'agriculture, la pêche et l'aquaculture au rang d'"intérêt général majeur en tant qu'elles garantissent la souveraineté alimentaire de la Nation".
Cette disposition est destinée à "nourrir la réflexion du juge administratif" quand il aura à trancher un litige autour d'un projet agricole, selon le cabinet du ministre de l'Agriculture Marc Fesneau. Autrement dit, quand il faudra mettre dans la balance production de nourriture et impératif de protection de la nature.
Le texte vise aussi à réduire les procédures autour des constructions de réserves d'eau pour l'irrigation et de bâtiments d'élevage.
"La question, ce n'est pas d'en rabattre sur la question de l'environnement, (...) c'est de ne pas avoir des projets qui durent cinq, sept, huit, dix ans" avant de sortir de terre voire d'être abandonnés, a déclaré Marc Fesneau mercredi matin sur RTL.
En l'état, le texte autorise le gouvernement à revoir par ordonnance l'échelle des peines en cas de dommage sur l'environnement (destruction de haie par exemple).
"Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus de peines pour des destructions ou pour des atteintes à l'environnement qui sont graves. Cela veut dire qu'on va essayer d'adapter les sanctions et l'échelle des peines (...) à la réalité des situations", assure le cabinet de M. Fesneau.
Le projet de loi doit être examiné à partir du 13 mai en séance à l'Assemblée nationale, puis pendant la deuxième quinzaine du mois de juin au Sénat, pour une adoption espérée dans la foulée.
(Source AFP)