Abaissement de la TVA pour les micro-entreprises : “On détruit un tissu économique nécessaire” selon une esthéticienne bisontine

Cette mesure est passée en douce, mais pas pendant longtemps… Un amendement du gouvernement au budget 2025 adopté par le Sénat, puis voté par 49-3 dans le budget 2025 le 3 février, abaisse le seuil d’exemption de TVA pour les petites entreprises à 25.000€ de chiffre d’affaires annuel, au lieu de 37.500€ actuellement. Une mesure qui ne passe pas du tout chez les micro-entrepreneur(e)s comme Myriam Maître, esthéticienne à École-Valentin, qui a rencontré le député du Doubs Laurent Croizier pour lui en faire part…

Myriam Maître © DR

Après avoir été ingénieure - qualité, Myriam Maître a changé de voie professionnelle en passant un CAP pour lancer sa micro-entreprise spécialisée le bien-être en 2018, à École-Valentin. Cette reconversion avait pour but de pouvoir concilier sa vie personnelle avec sa vie professionnelle ”pour plus de liberté, avoir du temps, avec un statut qui ne demande pas beaucoup de comptabilité”, nous précise Myriam qui propose principalement des prestations, mais aussi de la vente de produits de beauté. Ouvrir sa micro-entreprise était le statut idéal pour elle. Mais depuis quelques mois, le gouvernement et le Sénat viennent chambouler tout ça, pour elle, comme pour près de 4 millions de personnes en France.

Adopté dans l’indifférence générale le 1er décembre 2024, un amendement du gouvernement au budget 2025 adopté par le Sénat a abaissé le seuil d’exemption de TVA pour les petites entreprises à 25.000€ de chiffre d’affaires annuel, au lieu de 37.500€ actuellement et 85.000€ pour la vente. Si ces plafonds sont dépassés, elles devront payer environ 20% de TVA sur leurs revenus. Cette mesure a été votée lors du projet de loi de finances 2025 et devait prendre effet dès le 1er mars. Finalement, elle est repoussée jusqu’au 1er juin 2025.

Pourquoi ce changement ?

Si auparavant il y avait une distinction entre les types d’activités, celle-ci disparaît avec cette nouvelle mesure, avec l’introduction d’un seuil unique de 25.000€ applicable à toutes les formes d’entreprises. Les principales motivations du gouvernement incluent également l’alignement des règles fiscales au niveau européen et la volonté de "simplifier" la gestion des micro-entrepreneurs en supprimant la complexité des différents seuils. Le seuil de 25.000 € pourrait être ”plus facile à gérer administrativement” pour les petites entreprises.

Le gouvernement met aussi en avant la lutte contre l'évasion fiscale et les distorsions de concurrence entre les entreprises bénéficiant ou non de la franchise. Cette mesure veut rendre le régime fiscal "plus équitable" et réduire les cas où certaines entreprises bénéficient indûment de la franchise.

Concurrence déloyale ? Lobbying, magouilles et compagnie…

Quand on évoque ces distorsions de concurrence avec Myriam, elle dit ne pas comprendre. BTP, coiffure, métiers d’art : ces trois secteurs d’activité semblent se plaindre d’une inégalité avec les micro-entrepreneurs, ce qu’elle déplore, tout comme ses confrères et consoeurs de la Fédération des auto-entrepreneurs (FNAE). Selon ces derniers, ”la distorsion de concurrence se résume en un mythe alimenté de longue date par des lobbies (BTP) mal placés pour donner des leçons, si ce n’est de cynisme au vu de leurs pratiques.” Ils ajoutent dans un communiqué de presse qu’avec ”un chiffre d'affaires trimestriel moyen de 5000€, les micro-entreprises ne sont une menace ni pour le BTP, ni pour les artisans. Une part minime du CA du BTP (215 milliards d’€ en 2024)”, et d’ajouter qu’il s’agit d’un ”argument sur les bases d’une réalité marginale, alors que beaucoup exercent sur des secteurs de niches ou en complément de l’offre sur des secteurs d’activités qui le permettent. Là où d’autres ne répondent pas (ou plus) à la demande.”

Plus concrètement, Myriam affirme que ”non, 25.000€ ce n’est pas une revenu et quand j’ai un chiffre d’affaire de 35.000€, derrière, il faut que je défalque mes cotisations à l’Urssaf, ainsi que les matières que j’achète, l’impôt sur le revenu, la cotisation foncière sur les entreprises, la prévoyance, la mutuelle etc. donc ça ferait une perte de 10.000€ sur le chiffre d’affaires. Grosso modo, si je calcule par rapport à mon revenu, c’est-à-dire le chiffre d’affaires moins toutes les charges, je vais m’octroyer un revenu de 1.400€, donc environ le smic, et ça diminuerait de 500€ par mois ; ça c’est pour mon cas de figure, mais pour la majorité, on arriverait au niveau du RSA.”

Pour l'esthéticienne, le problème viendrait plutôt des difficultés d’embauche dans les secteurs du bâtiment et de la coiffure qu’autre chose. 

”On détruit ce tissu économique qui est nécessaire, y compris dans le BTP ! En micro-entreprise, ils sont fiables, flexibles, on peut compter sur eux, y compris pour de petits travaux quand les plus grandes entreprises refusent d’intervenir !” Myriam se dit en colère, ”c’est de la magouille !”, s’insurge-t-elle, ”c’est désolant, pathétique, à l’image de la France et de sa politique actuelle”.

Quelles conséquences ?

Si cette mesure est mise en application, Myriam nous explique qu’elle serait obligée d’imputer les 20% sur les prix proposés à ses clientes. ”Ainsi, 20% de plus sur un massage d'une durée de 1h30, ça fera 15€ de plus”, dit-elle. ”Ça fait trois semaines que j’en parle à mes clientes, et toutes me disent - On t’adore Myriam, tu as des doigts de fée, mais on a un budget donc on ne pourra pas venir aussi souvent - donc j’aurai un chiffre d’affaires qui sera moindre”, nous rapporte-t-elle, ”à chaque fois, pour des services auprès de micro-entrepreneurs, il faudra payer 20% de plus potentiellement à chaque fois !”

Si Myriam fait le choix de ne pas augmenter ses prix, elle pourrait prendre cette mesure comme "une taxe en plus" : ”ce ne serait pas 20%, sur la matière que j’achèterais, je pourrais enlever la TVA, mais dans mon modèle, ça ne représente rien, parce que j’ai de très petits volumes à acheter, je propose majoritairement des prestations, donc ce n’est pas viable, je suis perdante dans tous les cas.”

Autre conséquence possible de cette mesure : le travail illégal pourrait également exploser.

Rencontre avec Laurent Croizier

Le 21 février dernier, Myriam, accompagnée d'un photographe micro-entrepreneur et d'un retraité dont l’entourage est composé de micro-entrepreneurs et de franchisés, a rencontré le député (Modem) du Doubs, Laurent Croizier, à sa permanence. Objectif : lui expliquer ”la réalité du terrain” et "surtout les conséquences" de cette mesure qui impactera 3,9 millions de travailleurs indépendants et libéraux. ”On est ressorti de cette rencontre positifs, le député nous a écouté, a bien compris, parce qu’il n’avait pas mesuré l’impact que ça pouvait avoir sur nous, il n’y voyait que l’aspect concurrence déloyale avec le secteur du BTP”, nous rapporte Myriam. ”Le député nous a indiqué qu’il allait en parler au Premier ministre, etc”.

Malgré tout, si cette micro-entrepreneure en est ressortie ”soulagée”, elle dit ne pas être ”dupe” ni ”confiante” en l’avenir : ”que va-t-il se passer jusqu’au 1er juin ? Ils vont attendre que le mouvement s'essouffle ? Ils vont attendre les vacances ?” se demande-t-elle tout en affirmant son engagement qu’elle veut tenir "jusqu’au bout".

Une pétition qui dépasse les 100.000 signatures

Une pétition a été déposée par la FNAE le 21 février 2025 sur le site du Sénat récoltant plus de 111.600 signatures. Elle demande la suppression de la baisse de la franchise en base de TVA à 25.000€. À noter que le seuil des 100.000 signatures doit être atteint en moins de six mois pour que les pétitions soient transmises à la Conférence des présidents qui peut décider d’y donner suite (création d’une mission de contrôle, inscription à l’ordre du jour d’un texte législatif, débat en séance publique…).

À suivre...

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